Il dit qu’un poëte Grec ou Latin, dépouillé de son principal charme, la mesure & l’harmonie, n’est plus reconnoissable ; que les habillemens à la moderne, qu’on peut lui donner, peuvent être tous très-beaux, mais que ce ne seront jamais les siens ; qu’on l’imitera, mais qu’on ne le rendra jamais au naturel ; que notre poësie, avec ses rimes, ses hémistiches toujours semblables, l’uniformité de sa marche, &, si on ose le dire, sa monotonie, ne sçauroit représenter la cadence variée de la poësie des anciens ; qu’enfin il faut apprendre leurs langues, lorsqu’on veut connoître leurs poëtes. […] On a, par leur moyen, traduit heureusement tant d’opuscules charmans : le président Bouhier lui-même en a rendu plusieurs du Grec & du Latin, avec tout l’agrément possible. […] par tel homme qui n’entend pas mieux le François que le Latin ; par tel rimailleur, le mépris & l’effroi des gens sensés ; par beaucoup de ces auteurs condamnés à subsister de leur plume, à enfanter livre sur livre, non pour l’honneur, mais pour le gain. […] On n’eut jamais parlé de Pellegrin comme traducteur, sans la jolie épigramme que fit La Monnoye, en voyant le texte du poëte Latin à côté de cette version : On devroit, soit dit entre nous, A deux divinités offrir ces deux Horaces ; Le Latin, à Vénus, la déesse des graces ; Et le François, à son époux.
Il est vrai que la poésie des Grecs et des Latins avait de grands avantages ; mais vous ne voudriez pas pour cela que les Français s’amusassent à faire des vers latins ? […] je pense qu’on ne peut jamais savoir parfaitement qu’une seule langue ; c’est la sienne propre : encore cela est-il rare ; et je me souviens que Despréaux avait fait une espèce de dialogue satirique contre les versificateurs latins modernes, qu’il supprima de son vivant, pour ne point blesser trois ou quatre latinistes de ses amis, et surtout de ses admirateurs, qui avaient pris la peine de mettre en vers latins son ode sur Namur ; ouvrage d’ailleurs si faible et si défectueux, que les traductions même, toutes latines qu’elles sont, ne paraissent pas au-dessous de l’original.