Attentifs à tout ce qui pouvait frapper l’imagination des élèves, les jésuites n’avaient point écarté de l’instruction des jeux de la scène ; ce n’était pas, il est vrai, des ouvrages mondains qu’ils donnaient en spectacle, mais ils composaient eux-mêmes des tragédies et des comédies : leurs bons écoliers ne sortaient point de leurs mains sans être en état d’apprécier les beautés des théâtres grec et latin. […] Ce qui rend surtout estimable la censure de l’Académie, c’est le ton décent et honnête qu’on y remarque d’un bout à l’autre ; ce sont les égards, les ménagements pour l’auteur, dans un moment où la haine et l’envie, acharnées contre lui, se livraient aux excès les plus scandaleux : le style est diffus, lourd et pénible ; on y trouve une affectation d’antithèses et d’oppositions de mots qui sent un peu le rhéteur ; le moule des phrases paraît plus latin que français ; le tour en est nombreux et périodique : il résulte cependant de l’ensemble du discours un air de prudence et de raison qui persuade ; le fond des idées est vigoureux, la logique exacte et saine : les raisonnements sont forts et concluants ; ce qui vaut mieux que la légèreté et les grâces dépourvues de sens. […] Il est certain qu’il fut nourri de grec et de latin, c’est-à-dire, suivant le style moderne, qu’il n’apprit que des mots, attendu qu’il n’y a bien certainement que des mots dans les écrivains d’Athènes et de Rome : et voilà pourquoi Corneille a mis tant de choses dans ses tragédies, tandis que nos auteurs actuels, à qui l’on n’a enseigné que des choses, ne mettent dans leurs pièces que des mots. […] Bon Corneille, aviez-vous donc besoin, pour composer votre chef-d’œuvre de Polyeucte, d’y être autorisé par l’exemple de ces misérables rapsodies, écrites en latin dans un siècle barbare, tout à fait indignes du théâtre, et même des collèges ! […] Ce qui adoucit beaucoup l’hyperbole, c’est que Molière n’avait encore fait aucun de ses bons ouvrages, et qu’il ne nous reste des anciens qu’un petit nombre de traductions latines de comédies grecques, qui ne nous en fait pas connaître la centième partie.
Tous les autres romantiques sont de purs latins, sauf Lamartine, qui est un Hindou. […] Nous nous demandons malgré nous, subissant la fatalité de notre pauvre cerveau latin : « Mais enfin, qu’est-ce donc que l’auteur a voulu dire ? […] Jean Richepin est, je crois bien, le plus latin de nos poètes français. […] Il a lui-même, dernièrement, avoué ses origines et ses prédilections dans une suite de savoureuses Latineries où il imitait à miracle ce que la pensée latine a de plus latin : les facéties fescennines, l’invective juvénalienne ou les cyniques jovialités d’un Martial. […] Phémie, et Mimi, et même Musette dans ses fugues au « pays latin », sont des maîtresses « désintéressées » (le rêve !)