Tout le monde innove aujourd’hui ; c’est un lieu-commun et une vérité banale de remarquer qu’il n’y a plus de langue circonscrite, limitée et strictement régulière, telle qu’il en existait une à la fin du xviiie siècle. […] Et quoi de plus propre à cet effet non-seulement que la reproduction fidèle des modèles grecs, mais aussi que la multitude d’efforts, de souplesses de tour et de grâces de langue qu’il faudrait retrouver ou acquérir en les rendant ! […] Il est arrivé ainsi, au grand regret et déplaisir déjà de Fénelon en son temps, que la langue française poétique s’est vue graduellement appauvrir, dessécher et gêner à l’excès, qu’elle n’a jamais osé procéder que suivant la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la grammaire 118, que tout ce qui est droit, licence et gaieté concédée aux autres poésies, a été interdit à la nôtre, et qu’on n’a fait presque nul usage, en cette voie, des conformités naturelles premières qu’on se trouvait avoir par un singulier bonheur avec la plus belle et la plus riche des langues, conformités que, deux siècles et demi après Henri Estienne, Joseph de Maistre retrouvait, proclamait hautement à son tour119, et qui tiennent en bien des points à la conformité même du caractère et du génie social des deux nations. Or ces analogies heureuses n’avaient guère servi de rien à notre langue en poésie, jusqu’à ce qu’André Chénier fût venu montrer qu’il n’était pas impossible d’y revenir. […] Et cette mère, qui a trop chéri autrefois sa langue babillarde, terrifiée maintenant, figée dans sa chair, est devenue comme une pierre. » La plus célèbre, la plus longue des pièces de Méléagre, et que nous avons réservée jusqu’ici, est son idylle sur le printemps ; on y saisit comme l’anneau d’or qui le rattache à Théocrite et à Bion.
Or, un usage immodéré du métier d’écrire a privé la langue française de ces deux vertus. […] Ainsi, pendant que les savants compositeurs détruisaient la langue musicale ancienne, une nouvelle langue était fournie à la musique par ces chansons populaires. […] Il ne le voulut point, jugeant toutes langues également capables de clarté et de beauté. […] Car la langue de M. […] Mais la langue de M.