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406. (1904) Zangwill pp. 7-90

Le langage devient impossible, si l’on pousse à l’excès le purisme à cet égard. […] La raison et le langage ne s’appliquent qu’au fini. […] Car vraiment si l’historien est si parfaitement, si complètement, si totalement renseigné sur les conditions mêmes qui forment et qui fabriquent le génie, et premièrement si nous accordons que ce soient des conditions extérieures saisissables, connaissables, connues, qui forment tout le génie, et non seulement le génie, mais à plus forte raison le talent, et les peuples, et les cultures, et les humanités, si vraiment on ne peut rien leur cacher, à ces historiens, qui ne voit qu’ils ont découvert, obtenu, qu’ils tiennent le secret du génie même, et de tout le reste, que dès lors ils peuvent en régler la production, la fabrication, qu’en définitive donc ils peuvent produire, fabriquer, ou tout au moins que sous leur gouvernement on peut produire, fabriquer le génie même, et tout le reste ; car dans l’ordre des sciences concrètes qui ne sont pas les sciences de l’histoire, dans les sciences physiques, chimiques, naturelles, connaître exactement, entièrement les conditions antérieures et extérieures, ambiantes, qui déterminent les phénomènes, c’est littéralement avoir en mains la production même des phénomènes ; pareillement en histoire, si nous connaissons exactement, entièrement les conditions physiques, chimiques, naturelles, sociales qui déterminent les peuples, les cultures, les talents, les génies, toutes les créations humaines, et les humanités mêmes, et si vraiment d’abord ces conditions extérieures, antérieures et ambiantes, déterminent rigoureusement les conditions humaines, et les créations humaines, si de telles causes déterminent rigoureusement de tels effets par une liaison causale rigoureusement déterminante, nous tenons vraiment le secret du génie même, du talent, des peuples et des cultures, le secret de toute humanité ; on me pardonnera de parler enfin un langage théologique ; la fréquentation de Renan, sinon de Taine, m’y conduit ; Renan, plus averti, plus philosophe, plus artiste, plus homme du monde, — et par conséquent plus respectueux de la divinité, — plus hellénique et ainsi plus averti que les dieux sont jaloux de leurs attributions, Renan plus renseigné n’avait guère usurpé que sur les attributions du Dieu tout connaissant ; Taine, plus rentré, plus têtu, plus docte, plus enfoncé, plus enfant aussi, étant plus professeur, surtout plus entier, usurpe aujourd’hui sur la création même ; il entreprend sur Dieu créateur. […] Mais il y en aura une. qui le franchira ; l’esprit triomphera. » Des milliers d’humanités ont peut-être sombré dans ce défilé : Théoctiste nous le dit pour nous effrayer ; mais Renan, bon père, nous le dit parce que c’est vrai, et aussi à seule fin de nous rassurer ; lui-même il se rassure ainsi ; la réalisation de son Dieu en vase clos l’épouvante lui-même ; et c’est pour cela qu’il met la réalisation du risque au passé, de l’indicatif, passé indéfini ; c’est acquis ; c’est entendu ; et la réalisation d’échapper au risque, la réalisation de Dieu, il met la réalisation de Dieu au futur, qui est le temps des prophéties ; si elle est mise au temps des prophéties, religieuses, si elle est une prophétie, peut-être bien qu’elle ne se réalisera pas, espérons qu’elle ne se réalisera pas ; il était payé pour savoir ce que valent les prophéties, particulièrement les prophéties religieuses, et comment elles se réalisent ; mettre cette affirmation au rang des prophéties, de sa part, c’était nous garantir qu’elle ne se confirmerait point ; un peut-être ajouté au parfait indéfini masquera cette garantie aux yeux du vulgaire grossier ; mais elle éclatera, toute évidente, le langage étant donné, pour le lecteur insidieux ; dans la préface même de ces dialogues redoutables et censément consolateurs, de ces rêves redoutablement consolateurs, le sage nous met en garde contre les épouvantements : « Bien assis sur ces principes, livrons-nous doucement à tous nos mauvais rêves. […] Ainsi les propositions de Taine ont l’air moins audacieuses que les propositions de Renan, parce qu’elles ne parlent point toujours de Dieu, parce qu’elles ne revêtent point un langage métaphysique et religieux, parce qu’il était malhabile, maladroit dans les conversations religieuses, grossier, inhabile à parler Dieu ; mais elles sont d’autant moins nuancées, d’autant moins modestes au contraire ; et en réalité elles impliquent une immédiate saisie de l’homme historien, moderne, sur la totalité de la création ; c’est parce que les propositions de Renan revêtent un langage surhumain qu’elles sont modestes, sincères, qu’elles ne nous trompent pas sur ce qu’elles contiennent ou veulent révéler de surhumanité ; et c’est parce que les propositions de Taine revêtent un simple langage professoral, modeste, qu’à son insu elles nous trompent et que, nous donnant le dernier mot de la pensée moderne en tout ce qui tient à l’histoire, elles nous dissimulent tout ce qu’elles contiennent et admettent de surhumanité.

407. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Il veut avoir les manières d’un gentilhomme, le langage d’un gentilhomme, le faste d’un gentilhomme, les galanteries d’un gentilhomme et tous les ridicules d’un gentilhomme. […] Il n’y a rien contre le mariage même dans le langage d’Angélique, il y a la revendication d’indépendance d’une femme qui a été épousée contre sa volonté et qui, par conséquent, ne s’est engagée à rien. […] Je tiens pour absolument impossible à un homme de ne pas parler un peu, dans toutes les circonstances de sa vie, le langage de sa profession. […] L’Henriette des Femmes savantes est toute semblable avec un peu plus de causticité et un peu plus de liberté de pensée et de langage. […] Elle sera une Madame Jourdain parlant un langage correct et dont les mots d’esprit courront dans Paris, et c’est-à-dire qu’elle sera une Madame Cornuel.

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