Ce ne sont pas des pointes que fait Marianne ; elle prétend être simple, revenir à la simplicité à force d’art et d’adresse ; elle reste à coup sûr en chemin, mais son manège, quand il ne dure pas trop longtemps, ne déplaît pas : il laisse voir tant d’esprit ! […] Comme dans la comédie de Marivaux, L’Heureux Stratagème, Marianne est tentée par moments d’user de représailles, d’aimer ou de faire semblant de se faire aimer par d’autres : « D’autres que lui m’aimeront, il le verra, et ils lui apprendront à estimer mon cœur… Un volage est un homme qui croit vous laisser comme solitaire ; se voit-il ensuite remplacé par d’autres, ce n’est plus là son compte, il ne l’entendait pas ainsi. » C’est assez montrer comment Marivaux, même quand il échappe au convenu du roman, au type de fidélité chevaleresque et pastorale, et quand il peint l’homme d’après le nu (éloge que lui donne Collé), nous le rend encore par un procédé artificiel et laisse trop voir son réseau de dissection au-dehors. […] Ce paysan est né observateur et moraliste : il lit à livre ouvert les physionomies et les visages : « Ce talent, dit-il, de lire dans l’esprit des gens et de débrouiller leurs sentiments secrets est un don que j’ai toujours eu, et qui m’a quelquefois bien servi. » L’auteur, en faisant faire à son personnage un chemin si rapide à la faveur de sa jolie figure, a échappé à un écueil sur lequel tout autre romancier aurait donné ; il lui a laissé de l’honnêteté et s’est arrêté à temps avant la licence. […] Le vieil officier cherche à le détromper : il lui montre la différence qu’il y a entre un homme peu scrupuleux qui, dans la réalité, dans la conversation, se laisse animer et accepte les choses les plus fortes, et ce même homme, devenu tranquille, qui les apprécie en les lisant : « Il est vrai, dit-il, que ce lecteur est homme aussi : mais c’est alors un homme en repos qui a du goût, qui est délicat, qui s’attend qu’on fera rire son esprit, qui veut pourtant bien qu’on le débauche, mais honnêtement, avec des façons et avec de la décence. » C’est un éloge à donner à Marivaux que, venu à une époque si licencieuse, et lui qui a si bien connu le côté malin et coquin du cœur, il n’a, dans l’expression de ses tableaux, jamais dépassé les bornes.
L’âge mûr est âpre, aride, occupé ; les rivalités et les ambitions, les passions sèches nous envahissent ; les haines nous troublent ; les injustices laissent des traces qui creusent et qu’on s’exagère : mais la jeunesse a échappé à tout cela ; ses douleurs même et ses infortunes ont revêtu je ne sais quel charme. […] L’astronome Méchain, qui, après avoir observé, de concert avec Delambre, l’arc terrestre compris entre Dunkerque et Barcelone, s’était chargé de la prolongation de la méridienne en Espagne et qui voulait la pousser jusqu’aux îles Baléares, venait de mourir à la peine et laissait un grand travail interrompu : M. […] Enfin, à force de constance et d’adresse, la lunette mieux dirigée un soir, et par un ciel parfaitement serein, vers le sommet au loin soupçonné, laissa bientôt voir de nuit le point lumineux et presque imperceptible qu’on avait vainement cherché jusque-là dans un champ trop indéfini. […] Doué aussi de qualités extérieures imposantes, d’une grande force communicative, de moyens d’action et d’autorité sur les autres, ne se laissa-t-il pas entraîner de ce côté beaucoup plus qu’il n’aurait fallu ? […] Je laisse parler M. de La Rive : — « Eh bien, me dit-il dès que je fus entré, je suis sûr que vous avez déjà lu cet article à Genève et que vous me donnez tort ?