La guerre se civilisa notablement au xviie siècle, quand l’idée politique, cette autre Minerve, y présida, et que l’objet des combats et du sang versé tendit à une plus juste constitution de l’Europe et à l’équilibre des États entre eux, les plus faibles n’étant pas fatalement écrasés par les plus forts. […] Qu’était-ce au juste que ce premier ouvrage de Jomini dans sa première forme, dans sa première édition ? […] C’était, selon lui, « l’unique moyen de poser le grand problème, de manière à le résoudre. » Son esprit juste, son jugement essentiellement modéré, en rabattront assez plus tard et bientôt, dès après Iéna et à partir d’Eylau, dès qu’il verra poindre et sortir les fautes et les exagérations du système nouveau et du génie qui l’avait conçu ; il dira alors, en rentrant dans la parfaite vérité : « Loin de moi la pensée de décider si le roi légitime de la Prusse, ne voulant que défendre son trône et son pays, pouvait provoquer, dès 1756, cette révolution immense dans l’art militaire qu’un soldat audacieux autant qu’habile introduisit, quarante ans après, par la force des événements qui l’entraînait !
C’est en méditant sur l’ambition que je parlerai de tous les succès éphémères qui peuvent imiter ou rappeler la gloire ; mais c’est d’elle-même, c’est-à-dire, de ce qui est vraiment grand et juste, que je veux d’abord m’occuper ; et pour juger son influence sur le bonheur, je ne craindrai point de la faire paraître dans toute la séduction de son éclat. […] L’admiration est une sorte de fanatisme qui veut des miracles ; elle ne consent à accorder à un homme une place au-dessus de tous les autres, à renoncer à l’usage de ses propres lumières pour le croire et lui obéir, qu’en lui supposant quelque chose de surnaturel qui ne peut se comparer aux facultés humaines : il faudrait, pour se défendre d’une telle erreur, être modeste et juste, reconnaître à la fois les bornes du génie et sa supériorité sur nous ; mais dès qu’il devient nécessaire de raisonner sur les défaites, de les expliquer par des obstacles, de les excuser par des malheurs, c’en est fait de l’enthousiasme ; il a, comme l’imagination, besoin d’être frappé par les objets extérieurs ; et la pompe du génie, c’est le succès. […] Mais non, pourrait-on dire, le jugement de la multitude est impartial, puisqu’aucune passion envieuse et personnelle ne l’inspire ; son impulsion toujours vraie, doit être juste ; mais par cela même que ces mouvements sont naturels et spontanés, ils appartiennent à l’imagination ; un ridicule détruit à ses yeux l’éclat d’une vertu ; un soupçon peut la dominer par la terreur ; des promesses exagérées l’emportent sur des services prudents, les plaintes d’un seul, l’émeuvent plus fortement que la silencieuse reconnaissance du grand nombre ; enfin, mobile, parce qu’elle est passionnée ; passionnée, parce que les hommes réunis ne se communiquent qu’à l’aide de cette électricité, et ne mettent en commun que leurs sentiments ; ce ne sont pas les lumières de chacun, mais l’impulsion générale qui produit un résultat, et cette impulsion, c’est l’individu le plus exalté qui la donne.