J’ose constater ici ce suffrage unanime de mes compatriotes, parce que je sentis qu’il s’adressait moins au talent du littérateur qu’à l’énonciation des principes du citoyen, et que s’en honorer n’est point orgueil, mais reconnaissance et juste fierté. […] Notre goût se montra plus juste envers la merveille de Milton que celui de sa patrie. […] Son ton est grave et juste ; que dit-il solennellement ? […] Libre des entraves du style, il nous révèle sa juste opinion sur la supériorité de l’idiome poétique, dont il vante le joug, en le port tant avec autant de force que de grâce. […] Juste mesure du fait.
Quant à Mme de Luxembourg, qui peut-être, en accueillant si vivement l’ombrageux solitaire, caressait aussi l’auteur à la mode et qui put ensuite se refroidir en effet pour le pauvre méfiant attaqué de manie, on ne saurait lui voir, cependant, aucun tort sérieux, et les témoignages si redoublés que Rousseau accorde à « son cœur bienfaisant », ne sont pas moins significatifs que ceux par lesquels il rend hommage à son goût juste et sûr. […] On conçoit qu’un esprit juste se soit peu à peu retiré de ces conflits dans lesquels, ayant fait son devoir, il ne restait rien d’agréable et de bon à gagner. […] J’avais songé à réunir quelques-uns des mots justes et concis qu’on a d’elle, et puis je me suis aperçu que de les citer trahirait peut-être mon dessein. […] C’est ainsi que M. de Talleyrand, très-jeune et à ses premiers débuts, assistant à un souper de Mme de Luxembourg, fut attaqué par elle d’une de ces questions qui auraient embarrassé tout autre : il répondit je ne sais quoi, mais de ce ton et de ce visage qu’on lui a connus depuis : quelque chose de bref et de juste, jeté d’un air de parfaite insouciance.