Ce bonheur, fort grossier, est plus dans l’esprit du paganisme que les douces joies de la contemplation, que Fénelon prête aux âmes heureuses dans les Champs Elysées, si semblables au paradis chrétien.
Il serait barbare d’empoisonner les courts moments d’une joie qui va s’envoler : que l’auteur jouisse donc des applaudissements du jour, puisqu’ils sont sa seule récompense ; et, si sa vie est courte, du moins qu’elle soit heureuse. » Il est facile de juger par cet extrait la valeur des critiques et des éloges de Geoffroy ; c’est pour n’avoir pas assez remarqué la différence que le rédacteur des feuilletons n’a cessé d’établir entre les acteurs et les théâtres, qu’on est quelquefois surpris de son indulgence pour les petits spectacles, et de sa sévérité pour les scènes d’un ordre supérieur ; en relisant ses feuilletons il ne faut pas perdre de vue les principes dont il s’était fait une règle invariable ; il faut le louer surtout de les avoir constamment défendus : c’est parce qu’il a toujours marché dans la même route, et à la lueur du flambeau qu’il avait choisi dès le commencement de sa carrière, que ses jugements prirent enfin tant d’influence sur le goût du public. […] Émilie vaincue s’écrie : Le ciel a résolu votre grandeur suprême ; Et Livie parle en homme d’état, lorsqu’elle dit à son auguste époux : Rome, avec une joie et sensible et profonde, Se démet en vos mains de l’empire du monde ; Vos royales vertus lui vont trop enseigner Que son bonheur consiste à vous faire régner : D’une si longue erreur pleinement affranchie, Elle n’a plus de vœux que pour la monarchie. […] Voltaire s’exprime ainsi sur la nature de l’intérêt qu’inspire Sévère : « J’ai cru apercevoir dans le public, aux représentations, une secrète joie que Polyeucte allât commettre cette action (briser les idoles), parce qu’on espérait qu’il en serait puni, et que Sévère épouserait sa femme : en effet, c’est à Sévère qu’on s’intéresse, et le public prend toujours le parti du héros amant contre le mari qui n’est pas héros. » Voltaire a raison de dire que les amants intéressent plus que les maris ; nos romans, nos pièces de théâtre, toute notre littérature n’est qu’une conspiration contre le mariage.