Necker avait compris quelque chose de l’immense danger social qui était prêt à sortir de toutes les doctrines irréligieuses du xviiie siècle, et il venait montrer les avantages publics de la religion, l’appui efficace, l’achèvement qu’elle seule apporte à l’ordre général, en même temps qu’il parlait avec persuasion du bonheur intime et de la consolation intérieure qu’elle procure à chacun. […] Necker, dans son déisme théologique, s’avançait avec ménagement et précaution comme médiateur entre la philosophie et le sacerdoce ; il admettait les religions révélées, mais sa qualité de protestant, et son désir d’éviter toute discussion intérieure au christianisme, le forçaient à se tenir dans la généralité et dans le vague. […] Il démontre sous toutes les formes, et par une quantité de considérations prises dans le cœur humain, que la morale religieuse vient sans cesse au secours de la législation civile : Elle parle un langage que les lois ne connaissent point ; elle échauffe cette sensibilité qui doit devancer la raison même ; elle agit, et comme la lumière et comme la chaleur intérieure ; elle éclaire, elle anime, elle s’insinue partout ; et ce qu’on n’observe point assez, c’est qu’au milieu des sociétés cette morale est le lien imperceptible d’une multitude de parties qui semblent se tenir par leurs propres affinités, et qui se détacheraient successivement, si la chaîne qui les unit venait jamais à se rompre.
Il affectionne les taudis enfumés des paysans, à peine percés de fenêtres, avec près du poêle quelque malade geignant ; les intérieurs ternes où l’ombre de quelque humble infortune semble accroître le froid des pièces ; les petites maisons louches de la banlieue, repaires de filous et de recéleurs ; ces châteaux désolés et sales où la vie s’écoule si morne, jour après jour, entre les boues du dehors, et le confort assoupissant des vieilles salles. […] C’est un épiement des moindres incidents, commentés et interrogés pour en tirer une certitude ; un interminable débat intérieur, des accès subits de désespoir qui le prosternent à genoux et pleurant devant sa fiancée ; puis de mornes et lasses tentatives d’échapper à cette obsédante indécision, avec la science certaine de leur inutilité ; enfin le pressentiment du suicide, la perception que la vie se retire peu à peu de lui, comme la chaleur abandonne un cadavre. […] L’atrophie fonctionnelle de la volonté nous est présentée avec tous ses symptômes habituels, la surabondance d’idées et de sentiments abstraits, la disposition que donne cette perpétuelle agitation à l’analyse intérieure et à l’ironie envers soi-même, l’incapacité finale de formuler un jugement arrêté ou de ressentir une émotion entraînante et la scission de l’âme en deux courants d’idées contraires, cette division intestine conduisant à la perception de deux moi irréconciliables, puis causant la mort de l’organisme qu’elle affecte.