Sa peinture de l’homme est juste, un peu banale ; c’est l’homme de Montaigne, de La Rochefoucauld et de Pascal : égoïste, léger, inconstant, toujours en deçà et au-delà du vrai, prenant pour raison sa fantaisie, son habitude et son intérêt, incapable d’un sentiment profond et durable, plus capable d’un grand effort d’un instant que d’une vertu moyenne et constante, allant aux belles actions par vanité, ou par fortune, soumis à la mode dans ses mœurs, dans ses idées comme dans son vêtement. […] A chaque instant les expressions générales et simplement intelligibles se résolvent sous la plume de La Bruyère en petits faits sensibles454: ainsi, voulant indiquer le plaisir de faire du bien, il ne trouve pas de plus forte expression qu’une impression physique, le choc de deux regards qui se rencontrent et parlent : « Il y a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui on vient de donner ». […] Sous une grande douceur extérieure, sous la tendresse épanchée, sous la coquetterie attirante, s’exerce une âme impérieuse, qui n’hésite pas à violer les plus intimes secrets de la personnalité : Fénelon veut tout savoir pour tout régler ; il veut être le principe unique des pensées, des actions de ses amis ; il veut être le guide, l’oracle de tous les instants.
Songez donc qu’à moins d’un mensonge sacrilège, qui ne doit guère se rencontrer, tout prêtre, quelles qu’aient pu être ensuite ses faiblesses, a accompli, le jour où il s’est couché tout de son long au pied de l’évêque qui le consacrait, la plus entière immolation de soi que l’on puisse imaginer ; qu’il s’est élevé, à cette heure-là, au plus haut degré de dignité morale, et qu’il a été proprement un héros, ne fût-ce qu’un instant. […] Il donne tout, il se dépouille à chaque instant, il vit de rien ; qu’est-ce que le corps, cette guenille de péché ? […] Son orgueil même n’exclut point, en cet instant, une sorte d’humilité ; car, s’il est plus grand devant les hommes, il doit plus à Dieu.