Nul talent ne lui manqua davantage que celui d’improviser : si l’on excepte une ou deux occasions où il fut assez heureusement inspiré par ses affections vindicatives, tout ce qu’il a dit sans préparation n’a été que le plus insensé verbiage que l’on ait entendu sur la terre, depuis que des paroles et des phrases y sont proférées par des hommes et par des oiseaux : personne autant que lui n’a contribué à effacer parmi nous jusqu’à l’idée de la véritable éloquence des tribunes. […] Mme de Staël aussi fit toutes sortes d’avances gracieuses en ce temps pour l’apprivoiser ; elle ne réussit qu’à lui inspirer de la reconnaissance et une estime affectueuse qu’il lui conserva au milieu des dissidences subséquentes. […] Le fait est que Daunou inspirait à Chénier le goût de l’étude et des bons modèles, le culte de la diction sévère, et que l’autre lui rendait du mouvement et du monde, exhalait devant lui en toute liberté son amère connaissance et inévitablement son mépris des hommes. […] Quoiqu’une destitution soit toujours désagréable et quelquefois périlleuse, la mienne paraît désirée trop ardemment par Son Excellence pour qu’il y ait aucun espoir de lui inspirer d’autres sentiments.
II Il a fallu ces passions et ces misères pour inspirer les Voyages de Gulliver et le Conte du Tonneau. […] Il entre alors dans la secte des éolistes ou inspirés, admirateurs du vent ; lesquels prétendent que l’esprit, ou souffle ou vent, est céleste, et contient toute science. […] Un prince est un metteur en œuvre de tous les vices, incapable d’employer ou d’aimer un honnête homme, « persuadé que son trône ne peut subsister sans corruption, parce que cette humeur courageuse, indocile et fière, que la vertu inspire à l’homme, est une entrave perpétuelle aux affaires publiques. » À Lilliput, il choisit pour ministres ceux qui dansent le mieux sur la corde. […] Tel est ce grand et malheureux génie, le plus grand de l’âge classique, le plus malheureux de l’histoire, Anglais dans toutes ses parties, et que l’excès de ses qualités anglaises a inspiré et dévoré, ayant cette profondeur de désirs qui est le fond de la race, cette énormité d’orgueil que l’habitude de la liberté, du commandement et du succès a imprimée dans la nation, cette solidité d’esprit positif que la pratique des affaires a établie dans le pays ; relégué hors du pouvoir et de l’action par ses passions déchaînées et sa superbe intraitable ; exclu de la poésie et de la philosophie par la clairvoyance et l’étroitesse de son bon sens ; privé des consolations qu’offre la vie contemplative et de l’occupation que fournit la vie pratique ; trop supérieur pour embrasser de cœur une secte religieuse ou un parti politique, trop limité pour se reposer dans les hautes doctrines qui concilient toutes les croyances ou dans les larges sympathies qui enveloppent tous les partis ; condamné par sa nature et ses alentours à combattre sans aimer une cause, à écrire sans s’éprendre de l’art, à penser sans atteindre un dogme, condottiere contre les partis, misanthrope contre l’homme, sceptique contre la beauté et la vérité.