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256. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Telle inspiration, tel effet ; voilà le secret de l’impression qu’on produit dans tous les arts, soit avec la parole écrite, soit avec les notes, soit avec le pinceau ; car l’art, au fond, ne vous y trompez pas, ce n’est que la nature. […] Vous souvenez-vous des impressions que vous a fait éprouver l’heure de midi, un jour de canicule, à l’ombre d’un caroubier ou d’un pan d’aqueduc romain entre les Abruzzes ? Si vous ne vous en souvenez pas, je vais m’en souvenir pour vous : écoutez, et reconnaissez vos impressions physiques et morales dans les miennes. […] On ne peut trouver qu’un mot pour exprimer l’impression des Moissonneurs : Raphaël a fait la transfiguration d’un Dieu, les Moissonneurs sont la transfiguration de la terre. […] Il finit par leur donner à toutes cette impression de terreur tragique ou de douleur anticipée qui en fait un drame pathétique, intelligible au premier regard, et indélébile dans le souvenir une fois qu’on l’a regardé.

257. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Dehèque, avec quelques variantes çà et là pour plus de fidélité encore ; le texte grec au bas des pages ; quantité de notes érudites et fines pour les imitations et rapprochements, à la fin du volume, l’impression de Perrin de Lyon, sur le tout : voilà mon programme10. […] J’accorde tout à fait que, « dès qu’on ouvre Homère, on se sent transporté dans le monde de l’instinct » ; qu’on sent qu’on a affaire à des passions du monde enfant ou adolescent ; que lorsqu’on se laisser aller au courant de ces poèmes, « c’est moins encore telle ou telle scène qui nous émeut, que le ton général et, en quelque sorte, l’air qu’on y respire et qui nous enivre. » J’accorde que « les descriptions d’Homère n’étant que des copies des impressions les plus générales, nous nous trouvons en face de ces descriptions dans la même situation qu’en face de la nature », c’est-à-dire d’un objet et d’un spectacle inépuisable : « Il est dès lors facile de comprendre pourquoi on peut toujours relire Homère sans se lasser. […] Ceux-ci, en effet, admirent les Anciens d’abord et ensuite, en tout et partout, et tels qu’on les leur offre, ne s’inquiétant que de leur impression personnelle et directe, qu’ils confondent volontiers d’ailleurs avec la donnée traditionnelle. […] Un moraliste à la façon de Nicole les a très-bien définis en ces mots : « Ce sont des esprits trop remplis d’eux-mêmes et des images présentes qui les occupent, pour pouvoir s’ouvrir et faire place en eux à d’autres idées que les leurs, et surtout quand il s’agit d’admettre et de comprendre les choses du passé. » De ces esprits exclusivement voués au monde moderne, aux impressions actives de chaque jour, et qui ne sauraient s’en déprendre, il en est, d’ailleurs, je le sais, de bien fermes et, à tous autres égards, d’excellents.

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