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638. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Ce qui est vrai de nos sens est vrai aussi de notre imagination, de notre mémoire, de notre entendement, de notre raison, de notre conscience même : nous ne pouvons connaître les choses que selon ce que nous sommes, non directement selon ce qu’elles sont. […] Où est-elle donc, cette sensation informe, cette multiplicité, cette manière indéfinie, ἄπειρον, sinon dans l’imagination de Platon et de ses modernes disciples ? […] C’est par le mouvement que nous analysons l’étendue et la durée ; les résidus des divers mouvements n’ont besoin que de se fondre ensemble pour faire surgir dans notre imagination les lignes complexes de l’espace et dans notre sens intime la ligne simple du temps. […] C’est une perspective qui se forme d’elle-même dans l’imagination. […] — Oui certes, répondrons-nous, je provoque des mouvements pour saisir cette égalité : je parcours des yeux les trois lignes, tout aussi bien que si je les parcourais avec mes mains, et en mouvant ainsi mes yeux, je m’aperçois de la superposition réelle des trois séries de sensations motrices répondant aux trois côtés parcourus ; ces trois séries se fondent et coïncident dans mon souvenir ; je m’aperçois qu’en passant de l’une à l’autre je ne sens pas de choc, de contraste, de contrariété. » Ce mécanisme de l’imagination est bien plus rapide et plus délicat que les instruments de vérification qui me permettraient de superposer les côtés : leur superposition est faite par mon imagination sans que j’aie besoin de mètre ; le sentiment d’égalité se produit comme résultat au bout de ce travail.

639. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Et un roman, c’est aussi un drame, c’est une œuvre de création et d’imagination poétiques, c’est-à-dire un livre dans les puissances intellectuelles de Victor Hugo. […] La Josiane, cette grande coquine à imagination phosphorescente et pourrie, n’est qu’une saloperie à froid tout simplement impossible, avec rien derrière que Victor Hugo. […] Elle produisait de grands effets, dont les imaginations plus naïves que la sienne ont été dupes longtemps. […] L’histoire des Borgia n’est, en effet, comme elle a été inventée, racontée et admise par des imaginations corrompues, qu’une immonde et scélérate polissonnerie, et les polissons et les polissonneries sont plus dramatiques que la vertu, la dignité, les attitudes patriciennes, l’immobilité majestueuse des caractères qu’on retrouve toujours à la même place, aujourd’hui comme hier et comme demain ! […] Ils ne sont pas du tout les mendiants de cette drôle de Bretagne, l’imagination d’Hugo !

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