. ; mais ces beautés, que notre imagination nous retrace aujourd’hui avec tant de charmes, n’avaient alors pour nous aucun attrait. […] Une expression naturelle de regret se mêle dans la parole d’Arago au sentiment d’orgueil que lui inspire la vérité inaltérable, mais peu accessible, des sciences : Les sciences exactes, a-t-il dit dans sa notice sur Thomas Young, ont sur les ouvrages d’art ou d’imagination un avantage qui a été souvent signalé : les vérités dont elles se composent traversent les siècles sans avoir rien à souffrir ni des caprices de la mode ni des dépravations du goût.
De même qu’il y eut dans l’Antiquité un peuple à part, qui, sous l’inspiration et la conduite de Moïse, garda nette et distincte l’idée d’un Dieu créateur et toujours présent, gouvernant directement le monde, tandis que tous les peuples alentour égaraient cette idée, pour eux confuse, dans les nuages de la fantaisie, ou l’étouffaient sous les fantômes de l’imagination et la noyaient dans le luxe exubérant de la nature, de même Bossuet entre les modernes a ressaisi plus qu’aucun cette pensée simple d’ordre, d’autorité, d’unité, de gouvernement continuel de la Providence, et il l’applique à tous sans effort et comme par une déduction invincible. […] Après avoir apostrophé en face l’hérétique Marcion (avec les paroles de Tertulliend) : « Tu ne t’éloignes pas tant de la vérité, Marcion… », entrant alors dans son sujet, il établit que cette miséricorde et cette justice subsistent l’une et l’autre, mais ne se doivent point séparer ; il va s’attacher à représenter dans un même discours le Sauveur miséricordieux et le Sauveur inexorable, le cœur attendri, puis le cœur irrité de Jésus : « Écoutez premièrement la voix douce et bénigne de cet Agneau sans tache, et après vous écouterez les terribles rugissements de ce Lion victorieux né de la tribu de Juda : c’est le sujet de cet entretien. » Dès cet exorde on sent un feu singulier, une imagination ingénieuse et exubérante, une érudition un peu subtile qui se prend dès l’abord à une hérésie bizarre ; selon le mot de Chateaubriand, on voit « l’écume au mors du jeune coursier ».