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427. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Les impudicités raffinées et effrénées de la décadence romaine, les obscénités splendides d’Héliogabale, les fantaisies gigantesques du luxe et de la luxure, les tables d’or comblées de mets étrangers, les breuvages de perles dissoutes, la nature dépeuplée pour fournir un plat, les attentats accumulés par la sensualité contre la nature, la raison et la justice, le plaisir de braver et d’outrager la loi, toutes ces images passent devant les yeux avec l’élan du torrent et la force d’un grand fleuve. […] Nous ne rencontrons point sur notre route d’images extraordinaires, soudaines, éclatantes, capables de nous éblouir et de nous arrêter ; nous voyageons éclairés par des métaphores modérées et soutenues ; Jonson a tous les procédés de l’art latin ; même quand il veut, surtout en sujets latins, il a les derniers, les plus savants, la concision brillante de Sénèque et Lucain, les antithèses équarries, équilibrées, limées, les artifices les plus heureux et les plus étudiés de l’architecture oratoire119. […] On le charge d’injures : « Hors d’ici, —  au cachot, —  il le mérite. —  Couronnons toutes nos portes de lauriers, —  qu’on prenne un bœuf aux cornes dorées, avec des guirlandes, et qu’on le mène sur-le-champ au Capitole, —  et qu’on le sacrifie à Jupiter pour le salut de César. —  Qu’on efface les titres du traître. —  Jetez à bas ses images et ses statues. —  Liberté, liberté, liberté ! […] Laissez-la se développer dans son entier comme elle y aspire173, et vous verrez qu’elle est par essence une image active et complète, une vision qui traîne avec soi tout un cortége de rêves et de sensations, qui grandit d’elle-même, tout d’un coup, par une sorte de végétation pullulante et absorbante, et qui finit par posséder, ébranler, épuiser l’homme tout entier. […] His images and statues be pull’d down.

428. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

C’est cet esprit, qui, commun à ce moment à l’Angleterre et à la France, imprime son image dans la diversité infinie des œuvres littéraires, en sorte que dans son ascendant partout visible on ne peut s’empêcher de reconnaître la présence d’une de ces forces intérieures qui ploient et règlent le cours du génie humain. […] À voir ces mots si choisis, ces arrangements exquis de syllabes mélodieuses, cette science des coupes et des rejets, ce style si coulant, si pur, ces gracieuses images que la diction rendait encore plus gracieuses, et toute cette guirlande artificielle et nuancée de fleurs qui se disaient champêtres, on pensait aux premières églogues de Virgile. […] À chaque instant une moquerie dure efface les gracieuses images qu’il commençait à éveiller. […] Comment de gaieté de cœur un poëte a-t-il pu traîner son talent parmi de telles images, et contraindre ses vers si ingénieusement tissés à recevoir ces immondices ? […] Cet objet lui-même a beau être abstrait, obscur, déplaisant, contraire à la poésie ; le style répand sur lui sa lumière ; de nobles images, empruntées aux spectacles simples et grands de la nature, viennent l’illuminer et le décorer.

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