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414. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Enfin, comme nous avons deux yeux et deux images stéréoscopiques, nous arrivons, par l’exercice, à localiser les objets vus au point de rencontre des deux percées visuelles. […] C’est dire qu’il y a dans son cerveau un jeu d’images associées, qui fait que l’objet plus éloigné éveille l’image d’une course plus longue pour l’atteindre, d’un grand bond, etc. ; l’objet situé à droite éveille l’image d’une certaine direction du corps, direction qui n’a pas plus besoin d’être abstraitement conçue que le mouvement instinctif du corps qui nous fait nous rejeter en arrière au moment de tomber. […] Enfin cette organisation de tout l’objectif en choses diversement situées dans l’espace se transmet en s’accroissant par l’hérédité, et l’enfant naît avec le cerveau hanté des figures d’espace comme l’oiseau avec l’image du nid. […] Lachelier distingue trois idées pures de l’être, dont « la plus haute, naît d’un libre vouloir et n’est réellement que liberté ». « Cette idée, ajoute-t-il, n’a pas, à proprement parler, d’image sensible ; mais elle se réalise dans la pensée appliquée ou empirique, qui réfléchit sur la conscience sensible et affirme l’existence des éléments qui la constituent. » Ainsi naissent les formes à priori. […] Supposons, avec Sergi, un canal en communication avec un lac : c’est l’image du nerf et du cerveau ; si une onde se produit à l’issue du canal dans le lac, elle ne se propagera dans tout le lac qu’en s’élargissant et en s’affaiblissant.

415. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

I On connaît le passage du Phédon où Socrate raconte qu’Apollon lui ayant prescrit de se livrer à la poésie, il pense que, pour être vraiment poète, il fallait « faire des mythes, non pas seulement des discours, ποιείν μύθουϛ άλλ’ ού λόγουϛ. » Le vrai poète est en effet, comme on l’a dit avec raison, un créateur de mythes, c’est-à-dire qu’il représente à l’imagination des actions et des faits sous une forme sensible, et qu’il traduit ainsi en actions et en images même les idées. Le mythe est le germe commun de la religion, de la poésie et du langage : si tout mot est au fond une image, toute phrase est au fond un mythe complet, c’est-à-dire l’histoire fictive des mots mis en action. […] Mais il y a des mots qui ne sont plus aujourd’hui que des fragments d’images et de sentiments, des débris morts, de la poussière de mythe, presque des signes algébriques ; il y a, au contraire, des mots qui sont des images complètes ; il y a des phrases et des vers qui offrent l’harmonie et la coordination d’une scène vivante s’accomplissant sous nos yeux. […] … Ces vers rappellent les vers-formules qui abondent dans Hugo, et où la formule même fait image. […] Pascal est une sorte de Prométhée qui s’est soumis, immolé, et qui a honte même d’aimer une femme, une « inconnue », dont les hommes ont à peine « murmuré le nom » : L’image fugitive à peine se dessine : C’est un fantôme, une ombre, et la forme En divine, passant devant nous garde son voile au front.

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