Au fond de tous les événements moraux, on devine un événement infinitésimal, imperceptible à la conscience, dont les degrés et les complications constituent le reste, sensations, images et idées. […] Par cette correspondance, les événements du dedans cadrent avec ceux du dehors, et les sensations, qui sont les éléments de nos idées, se trouvent naturellement et d’avance ajustées aux choses, ce qui permettra plus tard à nos idées d’être conformes aux choses et partant vraies. — D’autre part, on a vu que les images sont des substituts de sensations passées, futures, possibles, que les noms individuels sont des substituts d’images et de sensations momentanément absentes, que les noms généraux les plus simples sont des substituts d’images et de sensations impossibles, que les noms généraux plus composés sont des substituts d’autres noms, et ainsi de suite. — Il semble donc que la nature se soit donné à tâche d’instituer en nous des représentants de ses événements, et qu’elle y soit parvenue par les voies les plus économiques. Elle a d’abord institué la sensation qui traduit le fait avec une justesse et une finesse plus ou moins grande ; puis la sensation survivante et capable de résurrection indéfinie, c’est-à-dire l’image, qui répète la sensation et qui par suite traduit le fait lui-même ; puis le nom, sensation ou image d’une espèce particulière, qui, en vertu de propriétés acquises, représente le caractère général de plusieurs faits semblables, et remplace les sensations et images impossibles qui traduiraient ce caractère isolé.
Telle est l’image qui, à l’audition de ce sublime adagio, se présente d’abord à nos sens émus. […] Mais la création résulte des idées actuelles ; nous projetons au Néant extérieur l’image de notre essence intime ; puis, la croyant véritable, nous continuons à la créer pareille ; et nous souffrons de ses incohérences, tandis qu’elles sont ouvrage de notre plaisir. […] La description du prélude de Lohengrin par le compositeur lui-même montre que Wagner apposait des images à sa musique. […] Il superpose à la partition des images riches et évocatrices et décrit même un véritable tableau, traduisant en un langage pictural la musique de son futur beau-fils : « éclat éblouissant de coloris », « regards éblouis », jusqu’à l’assimilation de la mélodie à une fleur « monopétale ». Baudelaire décrit en images ses impressions musicales et établit une relation entre l’intensité de la couleur et celle de ses émotions.