Au théâtre, on ne remplace pas l’humanité absente par des images. […] Le style ne consiste pas en belles images, pas plus que la peinture ne consiste en belles couleurs. […] L’auteur semble avoir ramassé avec soin toutes les tournures clichées, les bêtises de la rhétorique, les images que l’usage a ridiculisées, afin de les mettre à la queue les unes des autres dans son œuvre. […] Quand un auteur a simplement de l’intelligence et de l’habileté, il découpe les personnages historiques, comme les enfants découpent des images.
En d’autres termes, personne ne se détachant de lui-même et Rousseau se détachant de lui-même moins que personne, il cherche dans toute pièce un Jean-Jacques Rousseau ; un Jean-Jacques Rousseau sous une, au moins, de ses formes, un Jean-Jacques Rousseau intègre, courageux, généreux, magnanime et sacrifiant tout au devoir, ou au moins un Jean-Jacques Rousseau prêchant la vertu aux hommes et les encourageant et poussant au bien de toute son éloquence : Et plein de son image il se cherche en tout lieu. […] Il en fait un menteur, ce qui, je le reconnais, était à peu près imposé par le sujet ; mais, ce qui n’était pas imposé par le sujet, il en fait non pas le Don Juan ordinaire qui est simplement l’homme qui veut mettre dans sa vie le plus possible de sensations vives ; mais il en fait un méchant, le méchant, « le grand seigneur méchant homme » qui fait le mal parce que le mal est amusant, l’homme qui jouit moins de posséder une femme que de désespérer un mari et aussi la femme, l’homme qui voyant deux fiancés très épris l’un de l’autre « se figure un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence et rompre cet attachement dont la délicatesse de son cœur est offensée », le néronien en un mot qui dit exactement comme Néron : Je me fais de leur peine une image charmante. […] Je le leur resservirai, le même au fond, plus étendu, plus éloquent et mis dans la bouche d’un personnage qui restera sympathique, et ils applaudiront aux partisans de l’ignorance féminine, et ils riront des femmes savantes tant qu’ils voudront. » Du reste, qu’on ne me fasse pas dire que Molière, en 1659, arrivant de ses provinces et c’est-à-dire de ses méditations solitaires et de ses entretiens avec lui-même, était un libéral, un esprit large et partisan de tous les progrès, et que le public parisien, le public des bourgeois de Paris, en a fait un conservateur à son image. […] Il faudrait donc faire pour les jeunes filles qu’on marie comme on fait ou comme on doit faire pour celles qu’on met dans les couvents : leur montrer les plaisirs qu’elles quittent avant de les y laisser renoncer, de peur que la fausse image de ces plaisirs qui leur sont inconnus ne vienne un jour égarer leurs cœurs.