Par-là Coleridge, très admiré de son temps, surtout dans son pays, poëte extraordinaire plutôt que grand poëte, assorti dans sa maladie même aux imaginations effarées par la guerre et la Terreur, a p^ du dans l’estime d’une époque plus calme ; mais il est encore un témoin éclatant du passé, l’image d’une grande puissance exercée sur les âmes, l’exemple salutaire d’un retour à la justice et à la raison, inspiré par le spectacle même des abus de la force et des iniquités de la conquête. […] Le poëte est là tout entier dans ses rêves de liberté sans limites, sa haine de la tyrannie sous toutes les formes, les démentis de son espérance, sa tristesse aussi profonde que sa confiance avait été aveugle et trompée : « Ô vous, nuages, qui, au loin sur ma tête, flottez et vous arrêtez, vous dont nul mortel ne peut régler la marche dans l’espace sans route ; vous, ondes de l’Océan, qui, vers quelque plage que vous rouliez, n’obéissez qu’aux lois éternelles ; vous, forêts, qui écoutez le chant de l’oiseau de nuit penché sur l’écorce d’une branche inclinée, hormis quand vous-mêmes, secouant vos rameaux, vous formez ce majestueux concert des vents devant lequel, comme un inspiré de Dieu, à travers des détours que nul homme des bois n’a jamais foulés, j’ai tant de fois égaré, parmi les herbes sauvages en fleurs, ma course éclairée de la lune, sous l’aspect ou l’écho de chaque image informe qui m’apparaissait, de chaque bruit insaisissable retentissant au désert !
L’homme est une créature raisonnable ; c’est là son tourment, mais c’est là aussi sa gloire, car c’est par là qu’au lieu d’être seulement l’ouvrage de Dieu, il est fait à son image. […] Il lui semblait qu’il y avait une contradiction choquante à penser avec des idées chrétiennes et à s’exprimer avec des mots et des images empruntés à la mythologie. […] Il écrivait en vers, parce que sa nature l’y portait ; ses expressions et ses images étaient chrétiennes, parce que sa pensée était chrétienne comme son éducation. […] Il avait banni de la poésie les sentiments et les images du paganisme, à la manière du christianisme des premiers âges qui, plantant la croix sur les temples des idoles, en faisait des églises qu’il consacrait au vrai Dieu. […] Il pense avec des sentiments, il raisonne avec des images, et ses idées s’échappent de son âme comme des mélodies.