Charron n’entre en rien dans cette intelligence et cette explication vraiment philosophique de l’humanité, qui, pour la mieux comprendre, en suivrait d’abord les directions générales et en reconnaîtrait les vastes courants : il prend l’homme au rebours et dans ses écarts ; il l’observe malade, infirme, le voit toujours en faute, dans une sottise continuelle, dans une malveillance presque constante : « La plupart des hommes avec lesquels il nous faut vivre dans le monde, dit-il quelque part, ne prennent plaisir qu’à mal faire, ne mesurent leur puissance que par le dédain et injure d’autrui. » De ce qu’il y a certains cas où les sens se trompent et ont besoin d’être redressés, il en conclut que ce qui nous arrive par leur canal n’est qu’une longue et absolue incertitude. […] On citerait de Charron quantité de beaux et judicieux passages pour la tolérance et contre les dogmatistes opiniâtres, qui veulent donner la loi au monde : « Où le moyen ordinaire fait défaut, l’on y ajoute le commandement, la force, le fer, le feu. » Il parle avec bien de l’humanité et du bon sens contre la question et la torture : avec bien du sens aussi contre l’autorité en matière de science. […] Mais l’humanité va, incessamment, apprenant et oubliant tour à tour : et vous avez vu que l’éloquence aussi et le souffle n’avaient pas manqué dans le conseil donné par un philosophe et un sage gaulois parlant en grec à un Romain de ses amis, par Favorin, né à Arles, l’une des lumières du siècle des Antonins.
On conjecture que, né dans un village près de Dourdan, il fut élevé à la campagne ; car il garda toujours de la nature une impression vive qu’il a exprimée avec bonheur, et il porte à l’homme des champs, pour l’avoir vu de près à la peine, un sentiment de compassion et d’humanité qu’il a rendu d’une manière poignante. […] Après avoir peint dans toutes les conditions, et depuis les plus sordides jusqu’aux plus hautes, les mœurs de son temps, l’auteur en vient donc à considérer l’humanité en général ; on voit la gradation. […] Son humanité a égaré sa justice.