Pour rapprocher de nous ces figures de la comédie balzacienne, nous avons besoin de faire attention que, si leur aspect extérieur les recule incroyablement dans le passé, leurs passions dominantes et la complexion de leurs âmes les remettent à leur date, et que leur conception de la vie, leur façon d’aimer, leur méthode pour parvenir, la forme de leurs ambitions et de leurs convoitises, leur âpreté à l’action, leur énergie militante, leur emphase, leur naïveté, leurs illusions, leurs qualités et leurs vices appartiennent bien en propre à la génération directement issue de la Révolution et du premier Empire, et s’expliquent rigoureusement par les conditions historiques que rencontra cette génération dans son âge adulte. […] Après trois ou quatre répliques, Elise dit à Valère : « Je me représente à toute heure ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l’un de l’autre ; cette générosité surprenante qui vous fit risquer votre vie pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que vous me fîtes éclater après m’avoir tirée de l’eau, et les hommages assidus de cette amour… qui, vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l’emploi de domestique de mon père. » Et Valère continue ce petit « historique ».
Rien entendu, ce procédé n’exclut nullement tous les autres : il ne rejette ni la critique des mots et du langage, qui va de la grammaire à la rhétorique, et de la rhétorique à la philologie ; ni la critique philosophique, qui, sous le nom particulier d’esthétique, remonte aux principes de l’art et se flatte de pénétrer l’essence même de la beauté ; ni la critique historique et morale, qui éclaire l’œuvre par la vie de l’auteur et la vie de l’auteur par l’œuvre, les replace dans leur siècle comme dans leur cadre et dans leur vrai jour, ou plutôt les reconstitue vivants, et ressuscite ensemble et l’œuvre et l’homme, et les contemporains, non d’un seul pays, mais de tous, par les littératures comparées et par l’histoire universelle. […] Charles Clément fait très bien voir que Léonard de Vinci, dans son chef-d’œuvre de la Cène, « n’est ni liturgique, ni chrétien, ni religieux, à aucun degré57. » « La Renaissance, dit Louis Pfau, n’a vu dans la religion que l’histoire sainte, et n’a peint dans l’histoire sainte que l’histoire de l’humanité… La peinture, en accusant la vie dans toute sa plénitude, sort de la religion et n’est plus qu’une peinture historique se servant des sujets mythiques… Les madones byzantines, voilà de l’art religieux.