Elles sont à la gauloise, sans cérémonie aucune, à des amis avec qui il pense tout haut et à qui il raconte ses affaires, celles de la Faculté, les nouvelles de la ville, les curiosités du monde savant, les livres qui s’impriment, les meurtres et assassinats qui se commettent, les exécutions, les faits de tout genre tels qu’ils le frappent et qu’ils lui arrivent : « Vous voyez que je n’y mets aucun soin de style et d’ornement, dit-il, et que je n’y emploie ni Phœbus ni Balzac. » Le premier mot qui lui vient, français ou latin, est celui qu’il écrit ; c’est souvent un gros mot, et quelquefois un bon mot ; mais cela vibre toujours et a de l’accent. […] Pour Gui Patin, on peut parler tout haut et faire comme lui-même. […] Ce beau temps, selon lui, où l’on pouvait penser à cœur joie et dire tout haut ce qu’on avait sur le cœur, était avant que Berthe filât : « Depuis qu’elle a filé, le monde s’est bien corrompu. » Je l’ai montré, dans la première partie de sa vie, guerroyant et processif : il s’apaisa pourtant un peu en vieillissant. […] En général, Gui Patin est à l’égard des femmes dans les principes du bonhomme Chrysale chez Molière : il les exclut de la science et des hauts entretiens. […] Il est fier de son sexe et le fait sonner bien haut : « J’ai souvent loué Dieu, dit-il, de ne m’avoir fait ni femme, ni prêtre, ni Turc, ni Juif. » En présence de l’hôtel Rambouillet et de ce nouvel empire, il reste de l’avis de Scaliger qui raillait le cardinal Du Perron de ce que, pour paraître savant, il entretenait les dames du flux et reflux de la mer, de l’Être métaphysique et autres points de philosophie.
Froissart, à certains égards, n’est qu’un conteur, mais un conteur à la plus haute puissance, s’appliquant de préférence aux faits d’armes et aux épisodes épiques, un conteur élevé à l’historien. […] Entre trois morceaux d’une peinture bien expressive qu’on rencontre chez lui dès le début, l’un purement gracieux et romanesque, l’épisode de l’amour du roi Édouard pour la comtesse de Salisbury ; — l’autre, pathétique et dramatique, l’épisode du siège de Calais et des six bourgeois pour qui la reine d’Angleterre obtient grâce ; — un troisième, enfin, tout épique et grandiose, la bataille de Poitiers, j’ai préféré ce dernier comme nous montrant mieux Froissart dans sa plus haute et plus grande manière et dans son entier développement. […] Donnons-nous au complet le sentiment de cette belle page : Quand ce vint au soir, le prince de Galles donna à souper en sa tente au roi de France et à monseigneur Philippe son fils, à monseigneur Jacques de Bourbon et à la plus grande partie des comtes et des barons de France qui étoient prisonniers ; et le prince fit asseoir le roi de France et son fils, et monseigneur Jacques de Bourbon… (je supprime la suite des noms) à une table très haute et bien couverte, et tous les autres barons et chevaliers aux autres tables. Et toujours servoit le prince au-devant de la table du roi, et par toutes les autres tables, le plus humblement qu’il pouvoit ; et il ne se voulut asseoir à la table du roi pour prière que le roi lui en pût faire, mais disoit toujours qu’il n’étoit pas encore de telle valeur qu’il lui appartînt de s’asseoir à la table d’un si haut prince et d’un si vaillant homme comme étoit la personne du roi et comme il l’avoit montré en cette journée. […] Et m’est avis que vous avez grand’raison de vous éjouir, bien que l’affaire ne soit tournée à votre gré, car vous avez aujourd’hui conquis le haut nom de prouesse et avez passé tous les mieux faisants de votre côté.