Casaubon, né à Genève de parents français réfugiés, y professait le grec depuis l’âge de vingt-trois ans ; il était gendre de Henri Estienne, et sa femme, la plus féconde des mères, lui donnait chaque année un enfant ; il y avait quatorze ans déjà qu’il enseignait, et il s’était fait connaître au dehors par des ouvrages de première qualité en leur genre, notamment par ses travaux sur Strabon, sur Théophraste, lorsque le président de Thou eut l’idée, sur sa réputation, et l’estimant le premier des critiques, de l’attirer en France et de le rendre à sa patrie : après les ravages des guerres civiles, les études y étaient comme détruites, et l’on avait bien besoin d’un tel restaurateur des belles-lettres. […] — Et en Angleterre où il ira de guerre lasse et où il finira ses jours, que lui veut le roi Jacques ?
Les affaires sont si accoutumées à lui qu’elles le cherchent partout où il est et le poursuivent : il ne peut, quoi qu’il fasse, boucher ses yeux et ses oreilles ; il s’impatiente dès le premier jour d’apprendre que le duc d’Albe qui, au nom de Philippe II, faisait la guerre au Pape, a conclu trop vite une suspension d’armes désavantageuse ; il en est si contrarié qu’il ne veut pas même entendre lire les articles de la trêve. […] Il est chrétien et catholique jusqu’au monastère inclusivement, il a un pied dans le cloître, et cependant il n’a aucun scrupule de voir son fils guerroyer contre un pontife belliqueux (Paul IV), et si la guerre finit trop tôt, il s’en fâche, C’était la liberté de penser à l’usage des meilleurs catholiques de ce temps-là.