Lorsqu’on voit que nos guerriers trouvent le poids d’une cuirasse et d’un casque un fardeau insupportable, au lieu que leurs ancêtres ne trouvoient pas l’habillement entier du gendarme un poid trop lourd, quand on compare les fatigues des guerres des croisades avec la molesse de nos camps, n’est-on pas tenté de dire que la chose arrive ainsi ? […] On les engageoit sans peine d’aller chercher la guerre à mille lieuës de leur patrie au mépris des fatigues de plusieurs mois de voyage qui paroissent les travaux d’Hercule à leur postérité amollie.
On était souvent en guerre ; l’empereur qui jouissait en paix des dépouilles du monde, souvent ne sortait point de son palais ; mais des généraux qui avaient quelquefois la hardiesse d’être de grands hommes, lui gagnaient des batailles : il était établi que ces batailles n’avaient été gagnées à trois cents lieues de lui, que par ses auspices invincibles. Ainsi on ne disait mot du général, et on prononçait dans le sénat un panégyrique en l’honneur du prince ; mais si par hasard l’empereur sortait de Rome en temps de guerre, pour peu qu’il lui arrivât, comme à Domitien, ou de voir de loin les tentes des armées, ou de fuir seulement l’espace de deux ou trois lieues en pays ennemi, alors il n’y avait plus assez de voix pour célébrer son courage et ses victoires ; à plus forte raison, quand l’empereur était un grand homme, et qu’à la tête des légions il faisait respecter par ses talents la grandeur de l’empire.