Ton style n’aura peut-être pas autant gagné : mais cela n’importe guère. On a calculé qu’un chef-d’œuvre, comme les Maximes de La Rochefoucauld, n’aurait guère produit, au taux actuel, que sept à huit cents francs : c’est une somme misérable. […] Quoique la condition matérielle des ouvriers de la pensée se soit certainement élevée du moyen âge à nos jours, et d’un mouvement presque constant, ces contrastes fréquents, ordinaires même, d’opulence et de gueuserie ne permettent guère de suivre avec précision les phases par où elle a passé. […] Mais on ne se le figure guère chanoine ou curé, fût-ce de Meudon, et Diderot encore moins.
Le signe tout matériel qui trahit l’absence de vraie inspiration, c’est le manque d’haleine, l’essoufflement des poètes : on ne fait plus guère que des poèmes en quelques lignes. […] Le public même incompétent se laisse volontiers émouvoir, persuader par l’opinion de l’élite ; il s’associe à l’enthousiasme des connaisseurs ; il ne comprend pas toujours, mais avec un instinct qui ne se trompe guère et qui ne demande qu’à être averti, il conçoit, il sent qu’il y a ici ou là une œuvre irrésistible, entraînante ; de confiance il applaudit, et il devient l’ouvrier d’un succès, même quand il n’en connaît pas bien les hautes et délicates raisons. […] Je n’aime guère non plus ces strophes, où le poète exprime la loi de la faim qui fait passer son sanglant niveau sur le monde des vivants : Aveugle exécuteur d’un mal obligatoire, Chaque vivant promène écrit sur sa mâchoire L’arrêt de mort d’un autre, exigé par sa faim. […] Grave question, difficile à résoudre et qui laisse le lecteur indécis, d’autant plus qu’il ne se sent guère éclairé par la conclusion de l’auteur.