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453. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

C’est néanmoins au xixe  siècle, c’est depuis trente années surtout, que par son alliance avec l’histoire, la philosophie, l’éloquence, par la grandeur et l’universalité de ses travaux, par le sentiment d’artiste dont elle a su animer ses appréciations et son style, la critique a mérité de prendre place parmi les genres littéraires les plus importants, les plus goûtés, et d’être à son tour l’objet d’une étude sérieuse, la matière d’une nouvelle critique. Le temps est loin où l’on pouvait dire avec justice : « La critique souvent n’est pas une science, c’est un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie2. » De nos jours elle est devenue non pas une science sans doute3, mais un art tour à tour savant et ingénieux, qui tantôt déroule avec une grandeur imposante les annales de la pensée d’un peuple, tantôt dessine avec finesse le portrait et le caractère d’un homme ; ici, dans une causerie facile, nous fait confidence de toutes ses émotions, et se raconte lui-même avec un charmant égoïsme ; là, dans une brillante improvisation, retrouve en quelque sorte l’image de l’éloquence antique, et tient suspendu à ses lèvres un jeune auditoire charmé de voir la pensée éclore à chaque instant sous ses yeux. […] Jamais, si ce n’est dans les trop rapides esquisses de Cicéron et de Quintilien, elle ne retraçait la marche et les progrès de l’art ; jamais elle ne demandait à l’histoire politique et à la biographie le secret de la grandeur et de la décadence du génie littéraire. […] Progrès accomplis Deux grands esprits, deux talents plutôt égaux que semblables présidèrent à cette restauration de l’intelligence, Chateaubriande et Germaine de Staël ; l’un catholique et royaliste de cœur et d’imagination, défenseur du passé, doué de toutes les aspirations de l’avenir ; noble courtisan de toutes les disgrâces, avocat chevaleresque de toutes les grandeurs malheureuses ; l’autre, fille de la Réforme, élève de la philosophie et de la liberté, mais de la philosophie sans irréligion, et de la liberté sans souillure ; passionnée pour toutes les grandes choses, et apportant au culte des lettres la délicatesse d’une femme et la haute raison d’un homme de génie ; tous deux partis des points les plus divers de l’horizon, et réunis ou du moins rapprochés à la fin de leur carrière par la pression des temps et la pente naturelle de la pensée.

454. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Il y a des grandeurs dans le xviie  siècle : des établissements, des victoires, des écrivains de génie, des capitaines accomplis, un roi, homme supérieur, qui sut travailler, vouloir, lutter et mourir. Mais les grandeurs sont égalées par les misères. […] L’artiste est une machine électrique chargée de foudres, qui illumine et couvre toute laideur et toute mesquinerie sous le pétillement de ses éclairs ; sa grandeur consiste dans la grandeur de sa charge ; plus ses nerfs peuvent porter, plus il peut faire ; sa capacité de douleur et de joie mesure le degré de sa force.

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