Les lettres de Mme Roland à ses jeunes amies me démontrent la vérité de cette idée : l’être moral parfait en nous, s’il doit exister, existe de bonne heure ; il existe dès vingt ans dans toute son intégrité et toute sa grâce. […] Elle a, dit-elle, été prévenue (prévenue par la Grâce, style de Nicole), un peu après son amie ; elle a agi jusqu’à onze ans par cette espèce de raison, encore enveloppée des ténèbres de l’enfance : ce n’est qu’alors que le rayon divin a commencé de luire. […] En vain se répète-t-elle le plus qu’elle peut et avec une grâce parfaite : « Je veux de l’ombre ; le demi-jour suffit à mon bonheur, et, comme dit Montaigne, on n’est bien que dans l’arrière-boutique ; » sa forte nature, ses facultés supérieures se sentent souvent à l’étroit derrière le paravent et dans l’entresol où le sort la confine. […] Les volumes de Lettres de Mme Roland nous arrivent tout tachetés de ces mouillures qui sautent d’abord aux yeux ; ce sont les lieux-communs de son siècle ; il n’y a que plus de fraîcheur et de grâce dans les traits originaux sans nombre dont ils sont rachetés.
La forme du livre est un peu confuse, mais vivante, avec son style éclatant parfois de verve rabelaisienne, souvent illuminé de grâce poétique, abondant même en chaude et vigoureuse éloquence. […] Lorsque ensuite il compila son livre de la sagesse, prenant indifféremment à Montaigne et à Du Vair, il voulait tout simplement faire de la raison l’auxiliaire de la foi, et conduire la sagesse humaine jusqu’au point qu’on ne peut plus dépasser que par la grâce : il crut simplement donner des raisons humaines de mener une vie chrétienne. […] Les pointes qui lui échappent ne changent pas le caractère de son œuvre : il a un naturel mou, qui parfois étale des grâces nonchalantes, souvent, il faut le dire, se dilue en prolixité plate. […] Il ne voyait pas enfin qu’entre l’idéal de la Renaissance, et l’idéal classique, ce qu’il exprimait était seulement l’idéal de sa génération, l’idéal de Bertaut et de François de Sales : Rien que le naturel sa grâce n’accompagne ; Son front lavé d’eau claire éclate d’un beau teint… Les nonchalances sont ses plus grands artifices.