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457. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Les lettres de jeunesse (1729-1740) sont peu nombreuses, mais suffisantes pour faire apprécier le goût, les mœurs, les jugements et le ton de Buffon en ces années antérieures à sa grande carrière. […] De bonne heure il déclare son goût pour la campagne, pour la résidence rurale et sa noble tranquillité ; il ne vient à Paris que pour affaires, à son corps défendant : il ne paraît en aucun temps avoir pris plaisir à se plonger dans le tourbillon. […] Buffon lui accorde le génie créateur qui tire tout de sa propre substance : « Il n’existera jamais, lui dit-il, de Voltaire second » ; c’était une réplique au compliment de Voltaire qui avait appelé Archimède de Syracuse Archimède premier, pour donner à entendre que Buffon était Archimède second ; et faisant ainsi à son rival de Ferney les honneurs du génie, Buffon ne se réserve pour lui que le talent, lequel, si grand qu’il soit, dit-il, « ne peut produire que par imitation et d’après la matière. » Cette lettre à Voltaire, comme plus tard celles qui seront adressées à l’impératrice Catherine, passe la mesure ; Buffon y est deux fois solennel ; il y fait de la double et triple hyperbole, et l’homme qui, à son époque, avait le plus de sens et de jugement, nous fait sentir par là que ces qualités solides d’une éminente intelligence ne sont pas du tout la même chose que le tact et le goût. […] Voltaire, cet homme de goût, s’est trompé du tout au tout sur Saint-Lambert : Buffon a mis le doigt, — que dis-je ? […] Lesieur, ancien chef de division au ministère de l’Instruction publique, et qui ne fait que revenir à ses origines et à ses goûts en s’occupant de littérature, a également donné des soins bien utiles à cette publication importante.

458. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Frédéric le Grand est un étranger, Français par l’éducation, qui adopte le français dans ses écrits ; il écrit et compose dans notre langue par choix et par goût ; ainsi faisait la grande Catherine, dont on a publié depuis peu les curieux Mémoires. […] Bons catholiques ou non, nous n’avons pas le goût protestant en littérature : quoi qu’il en soit, il convient, au moins à quelques-uns, de bien connaître ce monde à part, cette province littéraire non soumise qui a son fond et sa forme d’indépendance et d’originalité. […] Ils font sentir que le tout n’est qu’un jeu, que le poète n’a d’autre vue que de s’égayer et de remporter l’approbation du public, du grand nombre qui prend goût à ces malignités. […] C’est le goût du pays, et on s’y fait généralement, comme il y a des pays où tous les mets qu’on mange sont apprêtés avec du sucre, et on les y trouve bons… Non seulement leurs discours ordinaires ont quelque chose de flatteur, qui fait de la peine à un homme modeste et sensé, à tout homme qui n’est point fait à ce langage et qui ignore la manière de repousser les louanges, ou d’y répondre en les faisant retomber sur ceux qui les donnent ; mais même leurs discours prémédités sont le plus souvent consacrés à la louange, comme ce qu’il y a de plus conforme au génie de la nationl. […] Comparez Saussure écrivain avec Buffon, avec Ramond et même avec Volnay, et il vous apparaîtra, réduit à ses seules qualités sans doute, mais aussi dans toute la rectitude et l’excellence de son goût.

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