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43. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Le père de Rivarol, homme instruit, dit-on, et qui même aurait eu le goût d’écrire, manquait de fortune ; il eut seize enfants, dont Rivarol était l’aîné. […] Son goût pourtant était trop sensible et trop amoureux pour ne pas laisser éclater hautement ce qu’il éprouvait. Le jugement, a-t-il dit, se contente d’approuver et de condamner, mais le goût jouit et souffre. […] Aussi les gens de goût sont-ils les hauts justiciers de la littérature. L’esprit de critique est un esprit d’ordre ; il connaît des délits contre le goût et les porte au tribunal du ridicule ; car le rire est souvent l’expression de la colère, et ceux qui le blâment ne songent pas assez que l’homme de goût a reçu vingt blessures avant d’en faire une.

44. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

La Fontaine, entraîné par son goût pour le plaisir, suivait le torrent ; et cependant il avait déjà quelques pressentiments du nouveau système de vie qu’il devait professer plutôt qu’embrasser deux ans plus tard, système dont il reconnut la convenance quand il fut élu à l’Académie, et que madame de La Sablière se livra sans partage à la vie pieuse. […] Il n’aurait pas dit qu’elle manquait de goût, car il a laissé échapper ce mot dans les notes qui ne paraissent pas avoir été destinées à l’impression. Ce mot, La Harpe la jugé sévère contre l’auteur de tant de lettres charmantes, et à ce sujet il a mis en avant que le goût qui juge est différent de celui qui crée, distinction juste et dont La Harpe est un exemple lui-même, car il a beaucoup et bien jugé, et son goût stérile n’a rien produit ; mais il ne faut pas conclure de ce que le goût qui juge ne prouve pas celui créé, que le goût qui crée ne comprend pas celui qui juge, car le goût qui juge bien de ce qui doit entrer dans ses compositions juge nécessairement bien le choix des autres ; de sorte qu’il est absurde de dire que madame de Sévigné, douée du goût qui crée, pouvait bien être privée du goût qui juge. […] Elle appréciait ces hommes illustres, elle les aimait, elle avait quelque chose de leur talent, beaucoup de la sagesse de leur esprit, un goût aussi pur en littérature, seulement plus délicat en tout ce qui touchait à la décence et peut-être à la morale. Leurs intérêts et ceux de madame de Sévigné étaient liés, leurs goûts étaient communs.

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