Reconnaissons enfin, après plus de deux siècles d’injustice et d’erreur, dans toutes les proportions de sa gloire un grand homme qui fut un martyr ; qui tout le temps qu’il traversa cette terre resta étranger au bonheur ; dont le cœur fut pur de toute tache, à l’abri de ces petitesses dont souvent ne sont point exempts les grands écrivains ; dont le chef-d’œuvre porte à un si haut degré l’empreinte d’une nature si noble, si élevée et si humaine, et qui de tous les hommes est celui dont l’âme se montrerait le plus sensible à une réparation pour l’outrage fait à la portée de son génie. » Et moi je dis : Ainsi est fait l’esprit humain ; il a soif d’une légende morale ; il a un besoin perpétuel de refonte et de remaniement pour toutes ses figures. […] Et toutes ces opinions ainsi énumérées et passées en revue, je ne puis m’empêcher d’ajouter encore : Une des plus grandes vanités de la gloire, même de la gloire littéraire, qui de toutes semble pourtant la plus authentique, c’est qu’un de ses premiers effets consiste, si elle vous saisit une fois, à vous changer plus ou moins et à vous défigurer.
Quelques grands noms de négociateurs et de plénipotentiaires apparaissaient de loin, dominaient l’attention et acquéraient la gloire ; mais au dedans, et sous eux, toute une armée ou plutôt un état-major de rédacteurs ou secrétaires inconnus travaillait dans l’ombre. […] Si j’osais me comparer à ce grand homme, je dirais que j’ai un sentiment commun avec lui, c’est l’amour de la gloire ; mais il a poursuivi son objet en grand et il l’a obtenu, au lieu que, moi, j’ai cherché la gloire dans les buissons, et je ne suis parvenue qu’à me piquer le bout des doigts.