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456. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Or ce grand bouillon de colère et indignation étant aucunement refroidi, et là-dessus ayant ouï parler des gens de toute sorte, consultant à part moi souvent de ce qu’en conscience il en faut tenir et croire, enfin je me suis aperçu bien changé… Il est à remarquer que la date de cette lettre, qui est d’avril 1589, coïncide avec les premiers temps de la connaissance que fit Charron de Montaigne37 : je n’irai pas jusqu’à conjecturer que, dès les premiers entretiens, Montaigne fut pour quelque chose dans ce changement de Charron. […] Par vulgaire, il n’entend pas le peuple proprement dit, « mais les esprits populaires, de quelque robe, profession et condition qu’ils soient », gens opiniâtres à ce qu’ils ont une fois pris à cœur, et qu’il y a péril à venir heurter dans leurs préjugés établis : dont il a semblé à plusieurs, dit-il, qu’il n’y faut aucunement toucher, mais laisser le moutier où il est, laisser rouler le monde comme il a accoutumé, et se contenter d’en penser ce qui en est ; et que ce n’est raison que les sages se mettent en peine pour les fols opiniâtres. […] Peu de gens, remarque-t-il, ont la force et le courage de se tenir droits sur leurs pieds, il faut qu’ils s’appuient ; ils ne peuvent vivre s’ils ne sont mariés et attachés ; n’osent demeurer seuls de peur des lutins : craignent que le loup les mange : gens nés à la servitude !

457. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il aimait fort (et de cela je ne le loue pas) à battre longuement les gens qui sont tout battus d’avance à plaider des procès qui sont tout gagnés d’emblée ; ainsi pour les livres de M.  […] D’ailleurs, ne l’oublions pas il avait tant de gens à admirer et à louer d’office, qu’on ne saurait s’étonner s’il se divertit tout d’un coup et semble à la fête quand il peut s’en donner sur un adversaire. Énumérons un peu : il avait à louer tout ce qui était de la Sorbonne ancienne et nouvelle, tout ce qui était de l’Université, tout ce qui était du Journal des Débats, presque tout ce qui était de l’Académie : et remarquez qu’en général ce ne sont pas gens à prendre du galon à demi quand ils en prennent ; il faut les louanger bel et bien, et largement, sur toutes les coutures. […] J’en fus charmé et je lui en sus gré, non que je haïsse les coups ni que je craigne d’en recevoir à la condition d’en rendre, mais il vaut toujours mieux avoir les gens d’esprit pour soi que contre soi.

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