/ 2934
590. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Il l’a montré stérilisant le génie, salissant l’amour, prostituant le mariage, décourageant le respect filial, ridiculisant le patriotisme, détruisant jusqu’à la notion du bien et du mal. Mais son génie ne s’est jamais élevé au-dessus des plafonds des appartements bourgeois. […] * *   * La postérité, qu’il faut toujours invoquer lorsqu’il s’agit de juger un grand mort, ne sera pas impressionnée comme nous le sommes par l’étroitesse du champ où volontairement, sans doute, Émile Augier a contenu son fier et honnête génie. […] On n’a pas découvert qu’Émile Augier fût autre chose qu’Émile Augier, c’est-à-dire un génie solide et clair, d’une probité littéraire égale à sa loyauté personnelle, un vrai Français, de style et d’âme, un maître depuis longtemps classique et qui dans sa retraite volontaire, son glorieux bonheur intime, goûta, de son vivant, la gloire incontestée et reçut le respect de la postérité. […] — C’était un grand écrivain dont le talent, si français, touche au génie par la clarté, la force et la franchise supérieures.

591. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Le cœur de l’homme est ainsi pétri que toute condamnation l’exalte et fait lever dans son âme le génie aveugle et violent de la contradiction, qui dort en nous et qui est si promptement debout ! […] Comme ils ont eu, Rabelais surtout, l’originalité dans leur temps, ils auraient l’originalité dans le nôtre, — l’originalité, qui est l’ongle du lion en fait de génie ! Rappelez-vous les Contes drolatiques de Balzac, à coup sûr la plus étonnante de ses œuvres, mais que personne n’oserait appeler « une œuvre de génie », parce que l’inspiration première et la langue — une merveille d’archaïsme !  […] Il me fait, lui le Villonesque et le Rabelaisien, l’effet d’avoir ce que n’avaient ni Villon, ce polisson auquel ce diable de Louis XI, si bon diable, épargna la corde, ni Rabelais, cet impitoyable génie du rire à outrance, qui aurait eu tout, s’il avait eu du cœur ! […] Quelles que soient les taches de ce livre, qui a ses taches, comme le soleil, je dis qu’il n’en est pas moins la production d’un génie poétique qui, dans le poète, peut un de ces soirs s’éclipser ou disparaître, mais qui, dans ce livre-là, a immobilisé un rayon qu’on n’éteindra pas.

/ 2934