L’épopée de son oncle, l’étrangeté merveilleuse de sa propre aventure, lui étaient une sorte d’opium, d’autant mieux qu’il avait été extraordinairement servi par les circonstances, qu’on avait beaucoup agi pour lui et qu’il avait passé d’une extrémité de fortune à l’autre sans être proprement un homme d’action. […] Il écrivait encore à l’empereur : « Assurons à ceux qui, par leurs qualités naturelles, leur naissance ou leur fortune, sont appelés à marcher au premier rang de la société… la culture de l’esprit la plus large… afin de fortifier l’aristocratie de l’intelligence au milieu d’un peuple qui n’en veut pas d’autre… » — Et c’est pourquoi il supprima la bifurcation en études scientifiques et littéraires, « qui sépare, disait-il, ce qu’on doit unir lorsqu’on veut arriver à la plus haute culture de l’intelligence » ; introduisit dans les lycées l’histoire contemporaine et quelques notions économiques ; restaura la classe de philosophie, si prospère aujourd’hui et suivie avec tant de passion par les mieux doués de nos enfants. […] Tous ceux qui l’approchaient, soit dans son modeste appartement de Paris, soit à Villeneuve-Saint-Georges, où sa médiocrité de fortune lui avait pourtant permis d’acquérir la maison et le jardin du sage, l’aimaient pour sa bonté, sa douceur, la simplicité de ses mœurs et l’on peut bien ajouter, — car la chose était exquise chez un vieillard, et l’on sait ici le vrai sens des mots, — pour sa naïveté : disposition d’esprit franche et fière, qui n’excluait ni la connaissance des hommes ni la finesse, mais seulement les défiances et les moqueries stériles et le pessimisme d’amateur.
Au moment de sa mort, elle fut universellement regrettée, comme ayant su, sans nom, sans fortune, sans beauté, et par le seul agrément de son esprit, se créer un salon des plus en vogue et des plus recherchés, à une époque qui en comptait de si brillants. […] Cette brillante colonie suivit la spirituelle émigrante et sa fortune. […] M. de Guibert pense à sa fortune et à son établissement ; elle s’en occupe pour lui.