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636. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Et cela n’est pas contradictoire avec l’hypothèse que nous avons émise de la naissance en plusieurs berceaux de certaines formes d’art ou de certaines façons de penser et de sentir. […] Il faut donc plonger au cœur des écrits de tout genre, pour y saisir le genre étranger qui a pu les vivifier ou les gâter ; après quoi, l’attention doit se porter sur les formes dont les écrivains ont revêtu leurs sentiments et leurs pensées. […] Mais, en général, la forme, qui est chose précise, solide et personnelle, se transporte moins aisément d’un pays à un autre que l’idée, qui est chose fluide, subtile et sans marque de propriété. […] Ces deux formes de patriotisme ont eu pour résultats des conduites contraires. […] Ces regards en arrière ont la vertu magique de remettre en lumière des formes, des idées, des œuvres oubliées, et quelque écrivain de jadis, sorti tout à coup de la nuit du passé, se trouve avoir sa place et son influence parmi les fils d’un autre siècle.

637. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Arrivé en province, à Moulins, il s’aperçoit aisément que la proscription ne l’y atteindra pas : il aurait même pu se montrer sans danger et reparaître, s’il n’y avait pas vu une espèce de bravade, et par conséquent un défaut de convenance : « Mais, ajoute-t-il, il faut être poli, même avec les révolutions. » On doit déjà saisir le ton de cet esprit fin, ironique, épigrammatique, et légèrement impertinent jusque dans les choses sérieuses : son mérite est de renfermer bien du bon sens et des vues justes sous cette forme-là. […] Il préférait la forme monarchique comme donnant à la société plus de garantie. […] Après 1830, sous sa forme dernière et toute désintéressée, sous sa forme que j’appellerai quasi-républicaine, il était le même. […] Par penchant et par habitude, il était encore plus homme de presse qu’il ne l’avait été de consultation et de cabinet : « Comme écrivain, disait-il, entre m’adresser au public ou à un souverain, fût-il dix fois plus élevé que la colonne de la place Vendôme, je n’hésiterai jamais à préférer le public ; c’est lui qui est notre véritable maître. » En laissant dans l’ombre les côtés faibles et ce qui n’est pas du domaine du souvenir, et à le considérer dans son ensemble et sa forme d’esprit, je le trouve ainsi défini par moi-même dans une note écrite il n’y a pas moins de quinze ans : Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué ; une Pauline de Meulan en homme (moins la valeur morale) ; sans fraîcheur d’imagination, mais avec une sorte de grâce quelquefois à force d’esprit fin ; — de ces hommes secondaires qui ont de l’influence, conseillers nés mêlés à bien des choses, à trop de choses, meilleurs que leur réputation, échappant au mal trop grand et à la corruption extrême par l’amour de l’indépendance, une certaine modération relative de désirs, et de la paresse ; — travaillant aux journaux plutôt par goût que par besoin, aimant à avoir action sur l’opinion, même sans qu’on le sache ; — Machiavels modérés, dignes de ce nom pourtant par leur vue froide, ferme et fine ; assez libéraux dans leurs résultats plutôt que généreux dans leurs principes ; — sentant à merveille la société moderne, l’éducation moderne par la société, non par les livres ; n’ayant rien des anciens, ni les études classiques, ni le goût de la forme, de la beauté dans le style, ni la morale grandiose, ni le souci de la gloire, rien de cela, mais l’entente des choses, la vue nette, précise, positive, l’observation sensée, utile et piquante, le tour d’idées spirituel et applicable ; non l’amour du vrai, mais une certaine justesse et un plaisir à voir les choses comme elles sont et à en faire part ; un coup d’œil prompt et sûr à saisir en toute conjoncture la mesure du possible ; une facilité désintéressée à entrer dans l’esprit d’une situation et à en indiquer les inconvénients et les ressources ; gens précieux, avec qui tout gouvernement devrait aimer causer ou correspondre pour entendre leur avis après ou avant chaque crise.

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