De là le premier problème que la nature avait à résoudre : traduire pour l’esprit les choses simultanées en choses successives, faire prendre à l’espace la forme du temps. […] Ainsi deux opérations inverses constituent notre connaissance du monde : faire s’écouler l’espace sous la forme successive du temps, c’est la sensation ; fixer le temps sous les formes simultanées de l’espace, c’est la mémoire. […] De plus, elles passent mécaniquement de la forme positive à la forme négative, par l’épuisement nerveux. […] Il y a toutefois une différence importante entre les sensations et les émotions, sous le rapport de leurs formes vives et de leurs formes idéales, pour employer le langage de Spencer. […] Entre la forme vive et la forme idéale il n’y a plus alors différence essentielle de nature ; les deux formes sont également des réactions centrales, indirectement provoquées, et il y a surtout entre elles des différences de degré.
La sensibilité individuelle, loin de se plier aux idées, façonne plutôt ces dernières et leur impose à propre forme. […] Ils regardent la sensibilité comme une forme inférieure de l’intelligence : comme une raison confuse et enveloppée (Leibnitz, Herbert). […] C’est là une loi profonde de notre nature, indépendante de toute forme et de toute combinaison sociale. […] Mais elle ne constitue qu’un minimum d’individualisme et ne fait aucune distinction entre les formes les plus simples et les plus grossières et les formes plus raffinées et plus profondes d’individuation sentimentale. […] Enfin cet individualisme est trop global, sans nuance et sans critique ; il repousse indistinctement toutes les formes d’altruisme.