Il en a écrit de deux sortes et sous deux formes différentes : 1º des Mémoires proprement dits sur les événements historiques auxquels il a assisté, et les affaires politiques auxquelles il a pris part ; ces Mémoires, souvent cités par Lemontey dans son Histoire de la Régence, sont restés manuscrits, et je ne les connais pas ; 2º indépendamment de cet ouvrage, qui paraît être très volumineux, puisque Lemontey en cite à un endroit le tome VIIIe, le duc d’Antin, dans une vue toute morale et de méditation intérieure, avait écrit pour lui seul une espèce de discours de sa vie et de ses pensées, à peu près comme Bussy-Rabutin, qui, en dehors de ses Mémoires, a fait un résumé de sa vie dans un discours destiné à ses enfants sous le titre de L’Usage des adversités. […] Sous ces formes diverses, nos Mémoires secrets nous aident à saisir le lieu continu et l’intime ressemblance. […] D’Antin, tout plat courtisan qu’il est, a donc une idée morale supérieure ; et, puisque j’en suis ici, non pas à le réhabiliter, mais à le montrer au vrai et sans que nous en puissions tirer orgueil, qu’on sache bien que la forme du courtisan n’a fait que changer ; elle a changé comme la forme même du souverain.
Lorsque sous la Restauration, à cette heure brillante des tentatives valeureuses et des espérances, de jeunes générations arrivèrent et essayèrent de renouveler les genres et les formes, d’étendre le cercle des idées et des comparaisons littéraires, elles trouvèrent de la résistance dans leurs devanciers ; des écrivains estimables, mais arrêtés, d’autres écrivains bien moins recommandables et qui eussent été de ceux que Boileau en son temps eût commencé par fustiger, mirent en avant le nom de ce législateur du Parnasse, et, sans entrer dans les différences des siècles, citèrent à tout propos ses vers comme les articles d’un code. […] La seconde période, de 1669 à 1677, comprend le satirique encore, mais qui de plus en plus s’apaise, qui a des ménagements à garder d’ailleurs en s’établissant dans la gloire ; déjà sur un bon pied à la Cour ; qui devient plus sagement critique dans tous les sens, législateur du Parnasse en son Art poétique, et aussi plus philosophe dans sa vue agrandie de l’homme (Épître à Guilleragues), capable de délicieux loisir et des jouissances variées des champs (Épître à M. de Lamoignon), et dont l’imagination reposée et nullement refroidie sait combiner et inventer des tableaux désintéressés, d’une forme profonde dans leur badinage, et d’un ingénieux poussé à la perfection suprême, à l’art immortel. […] Les plus grands talents eux-mêmes auraient-ils rendu également tout ce qui forme désormais leur plus solide héritage de gloire ? […] Et pourtant il y a la race encore de ceux qui, voyant ce faux et ce convenu hypocrite, n’ont pas de cesse que, sous une forme ou sous une autre, la vérité, comme ils la sentent, ne soit sortie et proférée.