Nous dirons dès lors, contrairement à Wundt, que la surprise est de l’effroi diminué, émoussé, contrebalancé, réduit à la sphère intellectuelle, de manière à paraître voisin de l’indifférence sensible ; mais, au fond, la surprise est encore un mouvement du désir et non de la pure pensée. […] La raison de ces affinités qui existent entre les sensations diverses, c’est qu’elles viennent se ramener à une fondamentale unité : elles sont toutes, au fond, des excitations et des réactions sympathiques du même appétit primordial. […] Quelles que soient les causes, quels que soient les objets, nous ne pouvons faire que désirer ce qui augmente notre activité et repousser ce qui la diminue : la langue des émotions, qu’elles soient physiques ou morales, n’a donc au fond que deux mots traduits de mille manières et avec mille nuances : oui et non. […] Cette flamme ne fait aucune réponse aux voyelles, o et u, ni aux labiales, mais elle répond énergiquement aux consonnes sifflantes ; si vous prononcez ce vers : Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur, elle reste impassible ; mais si vous lui dites : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
L’illusion de fausse reconnaissance fond sur le sujet instantanément, et instantanément aussi le quitte, laissant derrière elle une impression de rêve. […] Il arrivera précisément ce qui arrive dans les cas où, après bien des années, nous voyons de nouveau des lieux ou des objets, nous entendons de nouveau des mélodies, que nous avons jadis connus mais que nous avons depuis longtemps oubliés… Or si, dans ces derniers cas, nous avons appris à interpréter la plus faible poussée des associations comme le signe d’expériences antérieures se rapportant aux mêmes objets que ceux d’à présent, on devine que, dans les autres cas aussi, dans les cas où, par suite d’une diminution de l’énergie psychique, l’entourage habituel déploie une efficacité associative très diminuée, nous aurons cette impression qu’en lui se répètent, identiquement, des événements personnels et des situations tirées du fond d’un passé nébuleux 51 » Enfin, dans un travail approfondi qui contient, sous forme d’auto-observation, une des plus pénétrantes analyses qu’on ait données de la fausse reconnaissance 52. […] La sensation, en effet, est essentiellement de l’actuel et du présent ; mais le souvenir, qui la suggère du fond de l’inconscient d’où il émerge à peine, se présente avec cette puissance sui generis de suggestion qui est la marque de ce qui n’est plus, de ce qui voudrait être encore. […] Bref, si la totalité de nos souvenirs exerce à tout instant une poussée du fond de l’inconscient, la conscience attentive à la vie ne laisse passer, légalement, que ceux qui peuvent concourir à l’action présente, quoique beaucoup d’autres se faufilent à la faveur de cette condition générale de ressemblance qu’il a bien fallu poser.