Prenons donc ces tranches de philosophie ancienne et moderne, mettons-les dans le même bol, ajoutons en guise de vinaigre et d’huile, une certaine impatience agressive à l’égard du dogmatisme mathématique et le désir, naturel chez un évêque philosophe, de réconcilier la raison avec la foi, mêlons et retournons consciencieusement, jetons par-dessus le tout, comme autant de fines herbes, un certain nombre d’aphorismes cueillis chez les néo-platoniciens : nous aurons — passez-moi l’expression — une salade qui ressemblera suffisamment, de loin, à ce que Berkeley a fait. […] L’histoire des doctrines en fait foi. […] Soyons donc prêts à l’abandonner pour une autre, qui serrera l’expérience de plus près encore. « Nos idées, disait Claude Bernard, ne sont que des instruments intellectuels qui nous servent à pénétrer dans les phénomènes ; il faut les changer quand elles ont rempli leur rôle, comme on change un bistouri émoussé quand il a servi assez longtemps. » Et il ajoutait : « Cette foi trop grande dans le raisonnement, qui conduit un physiologiste à une fausse simplification des choses, tient à l’absence du sentiment de la complexité des phénomènes naturels. » Il disait encore : « Quand nous faisons une théorie générale dans nos sciences, la seule chose dont nous soyons certains c’est que toutes ces théories sont fausses, absolument parlant.
De son état de barbarie civilisée, le véritable art ne peut s’élever à sa dignité que sur les épaules de notre grand mouvement social ; il a de commun avec lui le but ; l’un et l’autre ne peuvent atteindre ce but que s’ils le reconnaissent de concert… Quand l’homme saura qu’il est lui-même, lui seul le but de son existence, quand il comprendra qu’il ne peut réaliser ce but personnel qu’en communauté avec tous les hommes, sa foi sociale ne pourra consister qu’en une confirmation positive des paroles de Jésus quand il disait : “Ne prenez point souci de savoir ce que vous mangerez, ce que vous boirez, ni même ce dont vous vous vêtirez, car tout cela, votre Père céleste vous l’a donné de lui-même !” […] Tolstoï mentionne expressément à ce propos le christianisme, et par christianisme il entend évidemment cette sorte de religion mal définie que nous appelons Naturelle, « cette demi-révélation, comme disait Proudhon, qui satisfait aussi peu la droite Raison que la Foi sincère ».