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1815. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Schumann, fuyant dans la « Suisse saxonne » de son âme, tenant à la fois de Werther et de Jean-Paul, nullement de Beethoven, certainement pas de Byron, — sa musique de Manfred est jusqu’à l’injustice une erreur et un malentendu, — Schumann avec son goût, qui était au fond un goût mesquin (c’est-à-dire un penchant dangereux, doublement dangereux parmi les Allemands, au lyrisme silencieux et à l’attendrissement d’ivrogne), sans cesse à l’écart, se dérobant et se retirant, noble, efféminé, ivre de bonheur et de douleur anonyme, dès le début une sorte de petite fille et de noli me tangere, — ce Schumann n’était déjà plus qu’un événement allemand dans la musique, non plus un événement européen comme le fut Beethoven, comme le fut Mozart dans une plus grande mesure encore ; avec lui, la musique allemande est menacée du plus grand danger, celui de perdre les accents de l’âme européenne pour ne plus être que la voix d’une étroitesse nationale. » Le morceau est vraiment intéressant, mieux que cela : profond, abstraction faite de la tournure paradoxale et de la rigueur excessive des conclusions. […] On le retrouve même dans la vie au bord de la mer, qui se déroule ennuyeuse, malpropre, dans le voisinage de la populace la plus bruyante et la plus âpre au gain ; — ce moment psychologique, Chopin dans la Barcarolle, le fait résonner de telle sorte qu’il donnerait envie aux dieux eux-mêmes de passer de longs soirs d’été couchés au fond d’un canot. » « Robert Schumann. — L’adolescent tel que le rêvaient les poètes lyriques du romantisme en Allemagne et en France, vers le premier tiers de ce siècle, — cet adolescent a été intégralement traduit en chants et en sons par Robert Schumann, qui fut lui-même cet éternel adolescent tant qu’il se sentit maître de ses forces personnelles ; mais il y a aussi des moments dans sa musique qui font penser à l’éternelle vieille fille. » De ces notules toujours ingénieuses, quelquefois amères ou cruelles, il ne se dégage d’ailleurs aucune doctrine esthétique.

1816. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Si elle n’avait pas reçu d’importations étrangères et antiques, si elle était restée la fille de nos vieux fabliaux, de nos romans de chevalerie, de nos anciens mystères, de nos gothiques superstitions, elle eût peut-être végété longtemps dans l’enfance, mais elle eût gardé un caractère national et vrai, une liaison intime avec nos mœurs, notre religion, nos annales, qui lui aurait donné un effet immédiat et plus complet, Il n’en a pas été ainsi. […] La pensée est semblable à la fille de Jupiter, qui sortit tout armée de son cerveau.

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