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394. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Quand les anciens, nos maîtres en tout, parce qu’ils ont marché les premiers, voulurent exprimer dans une seule figure la suprême beauté physique de l’homme, ils ne sculptèrent pas un enfant, ils sculptèrent Apollon, le dieu de la beauté à trente ans ; ils sculptèrent Hercule, le dieu de la force à quarante. Et quand ils voulurent exprimer dans une seule figure la suprême beauté intellectuelle et morale, ils sculptèrent la figure d’un vieillard, le vieil Homère, visage presque sépulcral sur lequel la cécité même, infirmité des sens, ajoute à la beauté intellectuelle, morale et recueillie en dedans du vieillard ; car s’il est beau d’être jeune, s’il est beau d’être mûr, il est peut-être plus beau encore de vieillir avec les fruits amers, mais sains de la vie dans l’esprit, dans le cœur et dans la main. […] Un front distrait plutôt que pensif, des yeux rêveurs plutôt qu’éclatants (deux étoiles plutôt que deux flammes), une bouche très fine, indécise entre le sourire et la tristesse, une taille élevée et souple, qui semblait porter, eu fléchissant déjà le poids encore si léger de sa jeunesse ; un silence modeste et habituel au milieu du tumulte confus d’une société jaseuse de femmes et de poètes complétaient sa figure. […] Plus tard je me trouvai une ou deux fois assis à côté de lui aux séances d’élection de l’Académie française ; je reconnus la même figure, mais alanguie par la souffrance et un peu assombrie par les années ; elles comptent doubles pour les hommes de plaisir. […] C’était la musique, ou plutôt c’était la poésie sous figure de femme.

395. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

a repris en sous-œuvre pour toute nouveauté cette vieille figure qu’il a seulement rendue plus blême, plus inanimée, plus exsangue… Quoi d’étonnant, du reste ? […] Michelet, le dernier venu parmi les haïsseurs de la royauté absolue, ramassant contre elle toutes les haines qui coulent de tous les tombereaux historiques pour ajouter à la sienne, qui pouvait restituer sa véritable, hautaine et douloureuse figure au cardinal de Richelieu ? […] Figure épuisée d’un martyr dans la pourpre, mais d’un martyr qui a pris son parti avec le supplice, qui juge et méprise son bourreau. […] Vous revoyez passer la figure déjà dessinée, les mêmes détails, entre lesquels il est bon de ne pas oublier la mort philosophique, sans confession, et le petit éloge de la femme de Marat, épousée devant le soleil et la nature, de cette femme dévouée dont l’histoire n’aurait jamais parlé sans M.  […] À côté de ces figures d’une gloire officielle, l’historien des Femmes de la Révolution nous en montre d’autres entourées d’un nimbe moins éclatant et moins large.

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