Jomini, tel que je me le figure alors, assez grand, mince, distingué de physionomie, à la fois vif et réservé sous sa fine moustache brune, n’avait point assurément la mine d’un sabreur ; il n’avait pas l’air de vouloir tout pourfendre amour de lui ; il était, en son temps, du petit nombre des militaires qui avaient, comme on dit, leur pensée de derrière, qui raisonnaient et critiquaient (Saint-Cyr, Dessolle, Haxo, Campredon…). […] Cet homme d’étude, qui, dans sa jeunesse, avait été précepteur du comte Tanneguy Duchâtel (les Suisses sont volontiers précepteurs dans leur jeunesse), n’avait pas varié une minute au fond du cœur ni faibli dans sa première et vieille trempe helvétique ; et quand je pense à cet homme de bien, vétéran des universités, ancien membre de la Diète aux heures difficiles, si modeste de vie, mais intègre et grand par le caractère, je me le figure toujours sous les traits d’un soldat suisse dans les combats, inébranlable dans la mêlée comme à Sempach, la pique ou la hallebarde à la main.
Si quelquefois nous avons dû omettre certaines particularités qui eussent mieux fait saillir la figure, c’a été uniquement parce que la personne voilée du prêtre, ou la modestie du philosophe, ou la simplicité élevée de l’homme ne le permettait pas, ou encore parce que le sage, comme cette fois, nous a dit : « Vous savez ma vie dans ses détails : je ne rougis et n’ai à rougir d’aucun ; je ne me suis donné que bien peu de démentis, ce qui est rare en notre temps. […] L’illustre promeneur était debout, arrêté et comme absorbé devant des enfants qui jouaient à tracer des figures sur le sable d’une allée.