. — La flamme manque à ses écrits, même dans les meilleures pages : il ne l’a eue que par la contradiction, à la tribune et dans le feu de l’action oratoire. […] Il me faisait l’effet de Robinson Crusoé lorsqu’il veut faire des vases de terre à l’épreuve du feu, et qu’il s’aperçoit tout-à-coup que le vernis leur est venu à force de chaleur, par la fonte du gravier qui était mêlé à l’argile et qui a sué à travers les pores : c’est ainsi qu’un jour le vernis s’est trouvé venu à son style et à sa parole par l’excès de chaleur qu’il y mettait. » — En effet, en 1829, on disait du style de Guizot qu’il était pâteux. […] LXXXIV Tout le feu d’Ampère se passe dans la recherche, et il ne lui en reste rien pour l’exécution. […] Elle n’était pas belle, ni même agréable ; blonde, un peu sur le roux, parlant peu, ayant l’air d’être toujours dans les espaces ; mais elle avait de l’âme, du feu, de l’imagination. […] Enfin, à cette heure, si l’on demande quel est l’homme de France qui jouit de plus de considération, on répondra : “C’est le chancelier.” » Tous ces jugements de Cousin, je ne les donne ici qu’ad referendum et sous toutes réserves ; mais comme ils sont spirituellement donnés, et avec feu, avec jeu et action !
Il a l’accent âpre, souvent même les phrases de Rousseau, et voudrait « être un vigoureux sauvage », sortir de la vie civilisée, de la dépendance et des humiliations qu’elle impose au misérable. « Il est dur de voir un monsieur que sa capacité aurait élevé tout juste à la dignité de tailleur à huit pence par jour, et dont le cœur ne vaut pas trois liards, recevoir les attentions et les égards qu’on refuse à l’homme de génie pauvre1149. » Il est dur de voir « un pauvre homme, usé de fatigue, tout abject, ravalé et bas, demander à un de ses frères de la terre la permission de travailler. » Il est dur « de voir ce seigneurial ver de terre repousser la pauvre supplique, sans songer qu’une femme qui pleure et des enfants sans pain se lamentent là tout à côté1150. » Quand le vent d’hiver souffle et barre la porte de ses rafales de neige, le paysan collé contre son petit feu de tourbe, pense aux grands foyers largement chauffés des nobles et des riches, « et parfois il a bien de la peine à s’empêcher de devenir aigre en voyant comment les choses sont partagées, comment les plus braves gens sont dans le besoin, pendant que des imbéciles se démènent sur leurs tas de guinées sans pouvoir en venir à bout1151. » Mais surtout le cœur « frémit et se gangrène de voir leur maudit orgueil. » — « Un homme est un homme après tout1152 », et le paysan vaut bien le seigneur. […] C’est à la fin de l’automne, les feuilles grises roulent dans les rafales du vent ; une joyeuse troupe de vagabonds, bons diables, viennent faire ripaille au cabaret de Poosie Nansie. « Ils trinquent et rient, ils chantent et se démènent, ils cognent et sautent, tant que les tourtières résonnent1163. » Le premier, auprès du feu, en vieux haillons rouges, est un soldat avec sa commère : la gaillarde a bien bu ; il l’embrasse et lui tend encore sa bouche goulue ; les gros baisers font clic-clac comme un fouet de charretier, et chancelant sur sa béquille, d’un air crâne, il entonne à pleins poumons sa chanson : « J’étais avec Curtis aux batteries flottantes, — et j’y ai laissé en témoignage un bras et une jambe. — Pourtant, que mon pays ait besoin de moi, et me donne Elliot pour commandant, — on entendra ma jambe de bois se démener au son du tambour1164. » Le chœur reprend et les voix ronflent : les rats effrayés se sauvent au plus profond de leurs trous. […] Enfin le voilà, le précieux paquet ; on l’ouvre, on veut entendre la multitude de voix bruyantes qu’il apporte de Londres et de l’univers. « Maintenant ranimez le feu, fermez bien les volets, laissez tomber les rideaux, roulez le sofa, et, pendant que l’urne bouillante et sifflante élève sa colonne de vapeur, souhaitons la bienvenue au soir pacifique qui entre1193. » Et le voilà qui conte son journal, politique, nouvelles, tout jusqu’aux annonces, non pas en simple réaliste, comme tant d’écrivains aujourd’hui, mais en poëte, c’est-à-dire en homme qui découvre une beauté et une harmonie dans les charbons d’un feu qui pétille ou dans le va-et-vient des doigts qui courent sur une tapisserie ; car c’est là l’étrange distinction du poëte : les objets non-seulement rejaillissent de son esprit plus puissants et plus précis qu’ils n’étaient en eux-mêmes et avant d’y entrer, mais encore, une fois conçus par lui, ils s’épurent, ils s’ennoblissent, ils se colorent, comme les vapeurs grossières qui, transfigurées par la distance et la lumière, se changent en nuages satinés, frangés de pourpre et d’or. […] Nous trouverons la poésie, si nous le voulons bien, au coin de notre feu et parmi les planches de notre potager1195.