Sue, si l’on prend l’ensemble de ses œuvres et si l’on se représente bien la famille de romans dont il s’agit, se trouve en combiner en lui l’esprit, la mode, la fashion, l’habitude, avec distinction, je l’ai dit, avec sang-froid, avec fertilité, avec une certaine convenance. […] De braves gens qui vivent en famille, des hommes sérieux régulièrement occupés, des personnes du monde tout agréables et qui ne veulent pas être choquées, peuvent dire : « Où trouve-t-on de tels personnages ? […] Que Louis XIV vieillissant se donnât des indigestions de petits pois ; qu’au temps de sa jeunesse il se montrât un sultan jaloux et sans partage ; qu’il fût dur avec ses maîtresses et avec les princesses de sa famille ; qu’il fît courir en carrosse à sa suite avec toutes sortes de cahotements madame de Montespan ou la duchesse de Bourgogne enceintes, au risque de les blesser : ce sont là des inhumanités de roi ou des infirmités d’homme. […] L’ouverture du roman a vraiment de la beauté : la douceur du paysage qu’admirent les deux enfants, la ferme de Saint-Andéol, le repas de famille et l’autorité patriarcale du père de Cavalier, l’arrivée des dragons et des miquelets sous ce toit béni, les horreurs qui suivent, la mère traînée sur la claie, tout cela s’enchaîne naturellement et conduit le lecteur à l’excès d’émotion par des sentiments bien placés et par un pathétique légitime.
La Bruyère est un bourgeois de Paris : un libre esprit, sans préjugé de caste ni respect traditionnel, très peu révolutionnaire, mais satirique et frondeur, peu porté à l’indulgence envers les puissants et les puissances : un esprit indépendant, ayant horreur de tous les engagements, qui, pour ne pas diminuer sa liberté, a renoncé à tous les biens, à la fortune, aux emplois, même à la famille ; car une femme, des enfants, rendent le renoncement difficile : a-t-on le droit de se passer de tout pour eux, comme pour soi ? […] la critique des abus fondamentaux de la société du xviie siècle : abus dans la noblesse, qui s’achète, et qui n’est plus qu’un moyen de ne pas payer l’impôt quand on est riche ; abus dans la religion, tournée en spectacle mondain ; abus dans la famille, où la vanité et l’intérêt ruinent l’institution du mariage, où les filles sont inhumainement sacrifiées à l’orgueil social, et cloîtrées sans vocation ; abus dans la justice, lente, coûteuse, injuste, etc. […] Fénelon fait tout découler d’un principe : la considération du rôle de la femme dans la famille et dans le monde ; dès qu’on s’inquiète de former la femme pour son emploi futur, on a un critérium infaillible pour dresser le programme de son éducation. […] Jean de la Bruyère, né à Paris, en 1645, d’une famille bourgeoise, étudie le droit, acquiert un office de trésorier de France et général des finances en la généralité de Caen (1673), est recommandé par Bossuet au prince de Condé, qui le charge d’instruire son petit-flls.