Si dans notre jeunesse nous nous sommes trouvés à portée de quelque ancienne bibliothèque de famille, nous avons pu lire Cléveland, le Doyen de Killerine, les Mémoires d’un Homme de qualité, que nous recommandaient nos oncles ou nos pères ; mais, à part une occasion de ce genre, on les estime sur parole, on ne les lit pas. […] Il naquit, sur la fin du xviie siècle, en avril 1697, à Hesdin dans l’Artois, d’une honnête famille et même noble ; son père était procureur du roi au bailliage. […] Mais au fond c’était une nature soumise, non raisonneuse, altérée des sources supérieures, encline à la spiritualité, largement crédule à l’invisible ; une intelligence de la famille de Malebranche en métaphysique ; une de ces âmes qui, ainsi qu’il l’a dit de sa Cécile, se portent d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure, et s’en croient empêchées par les ténèbres des sens et le poids de la chair. […] L’abbé Desfontaines, dans ses Observations sur les Écrits modernes, parmi de justes critiques du plan et des invraisemblances de cet ouvrage, s’est montré de trop sévère humeur contre l’excellent doyen, en le traitant de personnage plat et d’homme aussi insupportable au lecteur qu’à sa famille. Pour sa famille, je ne répondrais pas qu’il l’amusât constamment ; mais nous qui ne sommes pas amoureux, le moyen de lui en vouloir quand il nous dit : « Je lui prouvai par un raisonnement sans réplique que ce qu’il nommoit amour invincible, constance inviolable, fidélité nécessaire, étoient autant de chimères que la religion et l’ordre même de la nature ne connoissoient pas dans un sens si badin ?
Ainsi tous seront égaux devant la loi ; nulle personne, famille ou classe, n’aura de privilège ; nul ne pourra réclamer un droit dont un autre serait privé ; nul ne devra porter une charge dont un autre serait exempt D’autre part, tous étant libres, chacun entre avec sa volonté propre dans le faisceau de volontés qui constitue la société nouvelle ; il faut que, dans les résolutions communes, il intervienne pour sa part. […] Ces maîtres de l’homme sont le tempérament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le préjugé héréditaire, l’imagination, en général la passion dominante, plus particulièrement l’intérêt personnel ou l’intérêt de famille, de caste, de parti. […] Propriété, famille, Église, aucune des institutions anciennes ne peut invoquer de droit contre l’État nouveau. […] Au nom de la raison que l’État seul représente et interprète, on entreprendra de défaire et de refaire, conformément à la raison et à la seule raison, tous les usages, les fêtes, les cérémonies, les costumes, l’ère, le calendrier, les poids, les mesures, les noms des saisons, des mois, des semaines, des jours, des lieux et des monuments, les noms de famille et de baptême, les titres de politesse, le ton des discours, la manière de saluer, de s’aborder, de parler et d’écrire, de telle façon que le Français, comme jadis le puritain ou le quaker, refondu jusque dans sa substance intime, manifeste par les moindres détails de son action et de ses dehors la domination du tout-puissant principe qui le renouvelle et de la logique inflexible qui le régit. […] Morelly, Code de la nature . « À cinq ans, tous les enfants seront enlevés à la famille et élevés en commun aux frais de l’État d’une façon uniforme. » On a trouvé un projet analogue et tout spartiate dans les papiers de Saint-Just.