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290. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Il l’a vue telle qu’elle était, tout occupée du salut du roi, de sa réforme, de son amusement décent, de l’intérieur de la famille royale, du soulagement des peuples, et faisant tout cela, il est vrai, avec plus de rectitude que d’effusion, avec plus de justesse que de grandeur ; enfin, il a résumé son jugement sur elle en des termes précis, au moment de l’accompagner dans son œuvre de tendresse et de prédilection : Mme de Maintenon, dit-il, n’a donc pas eu sur Louis XIV l’influence malfaisante que ses ennemis lui ont attribuée : elle n’eut pas de grandes vues, elle ne lui inspira pas de grandes choses : elle borna trop sa pensée et sa mission au salut de l’homme et aux affaires de religion ; l’on peut même dire qu’en beaucoup de circonstances elle rapetissa le grand roi ; mais elle ne lui donna que des conseils salutaires, désintéressés, utiles à l’État et au soulagement du peuple, et en définitive elle a fait à la France un bien réel en réformant la vie d’un homme dont les passions avaient été divinisées, en arrachant à une vieillesse licencieuse un monarque qui, selon Leibniz, « faisait seul le destin de son siècle » ; enfin en le rendant capable de soutenir, « avec un visage toujours égal et véritablement chrétien », les désastres de la fin de son règne. […] Elle représenta au roi, après une visite qu’il avait faite à Noisy et dont il avait été fort content, que « la plupart des familles nobles de son royaume étaient réduites à un pitoyable état par les dépenses que leurs chefs avaient été obligés de faire à son service ; que leurs enfants avaient besoin d’être soutenus pour ne pas tomber tout à fait dans l’abaissement ; que ce serait une œuvre digne de sa piété et de sa grandeur, de faire un établissement solide qui fût l’asile des pauvres demoiselles de son royaume, et où elles fussent élevées dans la piété et dans tous les devoirs de leur condition. » Le père de La Chaise appuyait le projet ; Louvois se récriait sur la dépense. […] » Une haute idée, c’est que les Dames de Saint-Louis étant destinées à élever des demoiselles qui deviendront mères de famille et auront part à la bonne éducation des enfants, elles ont entre leurs mains une portion de l’avenir de la religion et de la France : « Il y a donc dans l’œuvre de Saint-Louis, si elle est bien faite et avec l’esprit d’une vraie foi et d’un véritable amour de Dieu, de quoi renouveler dans tout le royaume la perfection du christianisme. » La fondatrice leur rappelle expressément qu’étant à la porte de Versailles comme elles sont, il n’y a pas de milieu pour elles à être un établissement très régulier ou très scandaleux : « Rendez vos parloirs inaccessibles à toutes visites superflues… Ne craignez point d’être un peu sauvages, mais ne soyez pas fières. » Elle leur conseille une humilité plus absolue qu’elle ne l’obtiendra : « Rejetez le nom de Dames, prenez plaisir à vous appeler les Filles de Saint-Louis. » Elle insiste particulièrement sur cette vertu d’humilité qui sera toujours le côté faible de l’institut : « Vous ne vous conserverez que par l’humilité ; il faut expier tout ce qu’il y a eu de grandeur humaine dans votre fondation. » Quoi qu’il en soit des légères imperfections dont l’institut ne sut point se garantir, il persista jusqu’à la fin dans les lignes essentielles, et on reconnaîtra que c’était quelque chose de respectable en l’auteur de Saint-Cyr que de bâtir avec constance sur ces fondements, en vue du xviiie  siècle déjà pressé de naître, et dans un temps où Bayle écrivait de Rotterdam à propos de je ne sais quel livre : On fait, tant dans ce livre que dans plusieurs autres qui nous viennent de France, une étrange peinture des femmes de Paris. […] Entourée à Versailles d’hommes qui ne l’aimaient pas ou de femmes qu’elle méprisait, lisant dans leur cœur à travers leurs hommages intéressés et leurs bassesses, excédée de fatigue et de contrainte auprès du roi et de la famille royale qui usaient et abusaient d’elle, elle arrivait à Saint-Cyr pour s’y détendre, pour s’y plaindre, pour y laisser tomber le masque qu’elle portait sans cesse. […] Son frère, Napoléon de Buonaparte, officier d’artillerie, voyant qu’après le 10 Août les décrets de l’Assemblée législative semblaient annoncer ou plutôt confirmer la ruine de cette maison, se rendit à Saint-Cyr dans la matinée du 1er septembre 1792, et fit tant, par ses démarches actives auprès du maire de la commune, puis auprès des administrateurs de Versailles, qu’il obtint le jour même d’emmener sa sœur, dont il était comme le père et le tuteur, afin de la reconduire en Corse dans sa famille. — Il ne devait plus revenir à Saint-Cyr, converti par lui en Prytanée français, que le 28 juin 1805, déjà empereur et maître de la France, regardant d’égal à égal Louis XIV.

291. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Il me semble que je te vois vers l’Occident rayé, avec ton pas lent et grave comme celui de la mère de famille, tandis que la Nuit te suit de près et marche déjà sur ta robe traînante : d’une main, tu laisses tomber le rideau du sommeil sur les oiseaux et les animaux divers, et ton autre main est remplie pour l’homme du doux oubli des soins de la journée. […] Il faut reconnaître les diverses familles d’esprits et de talents, et, pour ainsi dire, les différentes races. Cowper est le poète de la famille, quoiqu’il n’ait été ni époux, ni père ; il est le poète du chez soi, de l’intérieur régulier, pur, doucement animé, du bosquet qu’on voit au fond du jardin, ou du coin du feu. […] Aussi, lorsque j’ai exprimé le regret que la France n’eût point, dès ce temps-là, une poésie pareille et comparable à celle des Anglais, je pensais moins encore à la peinture directe de la nature considérée en elle-même, peinture dont notre prose élevée présente de si belles et si magnifiques images, qu’à l’union de la poésie de la famille et du foyer avec celle de la nature. […] [NdA] Cette étude sur Cowper m’a valu trois gracieux sonnets en anglais qui me sont venus de la patrie du poète, et qui ont été écrits le soir autour de la table à thé, pendant qu’on lit en famille un livre ami et que l’on en cause.

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