Il n’est point jaloux, il ne souffre point de l’absence et cette passion imaginaire ne se traduit par aucun des actes par lesquels les passions vraies s’expriment et se procurent la possession de leur objet. […] Ce besoin de se concevoir autre qu’elle n’est constitue sa véritable personnalité, il atteint chez elle une violence incomparable et s’exprime par un refus d’accepter jamais aucune réalité et de s’en contenter. […] C’est elle qui a donné naissance à toutes les sciences et c’est ce Bovarysme essentiel que Flaubert a étreint sous ses deux formes, pour en exprimer l’ironie, pour en montrer le développement fatal, dans un double effort, dans ce poème halluciné, La Tentation de saint Antoine, dans cette comédie caricaturale, Bouvard et Pécuchet. […] Elle s’exprime en un Bovarysme de la cause première.
L’homme de la mine ou de l’usine qui réclame de quoi satisfaire la faim de son ventre, c’est-à-dire sa libération économique, et l’homme de la pensée, qui réclame de quoi satisfaire la faim de son cœur, c’est-à-dire une expansion plus libre et plus chaleureuse de la vie, n’expriment-ils pas les désirs les plus profonds de notre espèce, je dirais même tout le désir de l’homme ? […] N’entendons-nous pas là, chaleureusement exprimée, la défense de ce sentiment nouveau, qu’il n’y a dans la nature et dans l’être, ni rupture, ni opposition, ni séparation radicale, que chaque parcelle du tout poursuit silencieusement sa lente genèse infaillible, prenant sa part du devenir commun ; que l’intelligence, loin d’être une faculté d’origine spéciale, hors de l’animalité, prend sa source, plonge ses racines dans le monde de l’instinct, dans les entrailles du sol ? […] Voici, exprimée en quelques phrases, une théorie complète de l’homme social, de l’équilibre social, par un des esprits les plus perçants de la génération nouvelle. […] Il nie la valeur positive de cette autorité dont nous avons découvert le vice intime et les mortelles conséquences : mais il ne nie pas toute « autorité » extérieure, si l’on peut exprimer par ce mot perverti le sens que nous voulons y mettre.