Et, comme si la beauté n’était plus capable à elle seule de remplir et de satisfaire les yeux, on veut désormais, qu’à son prestige propre, elle joigne celui d’avoir existé, d’avoir été réelle, d’avoir enfin un état civil et un nom dans l’histoire. […] Supposé que les genres existent, et, même a priori, je ne vois guère comment on le nierait, — car enfin une Ode, qu’à la rigueur on peut confondre avec une Chanson, n’est pas une Comédie de caractères, par exemple ; et un Paysage n’est pas une Statue ; — supposé donc qu’ils existent, comment les genres se dégagent-ils de l’indétermination primitive ? […] Enfin, une force sur l’importance et le pouvoir de laquelle j’essayerai de vous montrer qu’on ne saurait trop appuyer, c’est L’Individualité, c’est-à-dire l’ensemble des qualités ou des défauts, qui font qu’un individu est unique en son genre, qu’il introduit ainsi dans l’histoire de la littérature et de l’art quelque chose qui n’y existait pas avant lui, qui n’y existerait pas sans lui, qui continuera d’y exister après lui. […] « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent », ainsi débutent les Confessions ; et voilà son dessein assez franchement déclaré par lui-même. […] Il existe, dans la langue française, sur l’art d’écrire et sur les préceptes du goût, des traités qui ne laissent rien à désirer, mais il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques qui modifient l’esprit de la littérature.
Si le modèle idéal n’en existait peut-être nulle part, l’honneur de l’art était de l’avoir inventé. […] Évidemment, c’est demander si Moïse a existé. […] Existe-t-il un Règne humain ? […] Et pourquoi ne se pourrait-il pas que ni Solon ni Lycurgue n’eussent jamais existé ? […] Existe-t-il ?