Mais ceux-là mêmes qui nient le plus dru l’héroïsme de par la race, sont les premiers et les plus obstinés à admettre que le talent, cet héroïsme de l’esprit, cette gentilhommerie du talent, qui ne s’est donné pourtant, comme l’autre, que la peine de naître, peut se transmettre de père en fils, — et même en fille, — et qu’en littérature, il y a des races, il y a des dynasties, il y a des Rois et des Dauphins, et, ce qui est plus fort, des Dauphines ; et, chose entièrement inconnue à cette vieille bête de monarchie qui ne connaissait que les Dauphines par mariage ! […] Et notez que je ne blâme nullement cette ambition, que je crois fatale à l’esprit humain, d’inventer des aristocraties… impossibles ; je me contente de l’affirmer. […] tant elle est véritablement — et n’est que cela — Mme Marie-Alexandre Dumas père et Mme Marie-Alexandre Dumas fils, procédant également de l’un et de l’autre, — la troisième personne de cette Trinité de Dumas, qui s’en croit l’Esprit-Saint peut-être, mais à qui je voudrais, si elle se fait cet effet-là, pour son compte et pour le mien, plus d’esprit et plus de sainteté. […] … Quant au talent, il est nul tout le temps qu’elle christianise, mais il y en a cependant dans le récit de l’adultère et du duel ; seulement un talent à la Dumas, sans esprit, tout de récit et de faits, et d’une personne qui a vécu dans une atmosphère où pendant trente ans et plus, on n’a parlé, arrangé, inventé que de ces choses-là. […] La maison Dumas, pour l’esprit qui l’a habitée, est la guérite de l’adultère, du duel, de toutes les rengaines dramatiques sur lesquelles cette grande pauvreté qui se croit un luxe, Je théâtre vit depuis des siècles, et quand on y a passé une partie de sa jeunesse, on reste imprégné de ces idées de duels et d’adultères, on les respire ; on les transpire ; on n’est plus capable de rendre autre chose, de créer autre chose que cela.
À l’égard d’Horace, né avec de l’imagination, un esprit délicat, la manie de plaire aux grands et l’art de réussir, il eut les talents et les vices d’un courtisan poli. Dans ces temps de crise, où les gouvernements changent, et où les peuples agités passent de la liberté républicaine à une autre constitution, l’homme d’état a besoin de l’homme d’esprit ; Horace, par le genre du sien, était un instrument utile à Octave ; ses chansons voluptueuses adoucissaient des esprits rendus féroces par les guerres de liberté ; ses satires détournaient sur les ridicules, des regards qui auparavant se portaient sur le gouvernement et sur l’État ; sa philosophie, tenant à un esprit moins ardent que sage, prenant le milieu de tout, évitant l’excès de tout, calmait l’impétuosité des caractères et plaçait la sagesse à côté du repos ; enfin ses éloges éternels d’Octave accoutumaient au respect et faisaient illusion sur les crimes ; la génération, qui ne les avait pas vus, était trompée ; celle qui s’en souvenait, doutait presque si elle les avait vus. […] avec l’esprit qu’il a, on s’en passe ; la vie ? […] Cet Espagnol, qui vint de bonne heure à Rome pour y faire des vers, médire et flatter, et qui y eut tout le succès qu’un esprit fin et piquant peut avoir dans une grande ville, où il y a de l’oisiveté, des arts et des vices, nous a laissé près de quatre-vingts petites pièces ou épigrammes, faites en l’honneur de Domitien.