c’est-à-dire le désir invincible de tous les penseurs émus d’amour, de beauté et de vérité, qui rêvent d’anéantir les éléments de haine, de laideur et d’erreur dans la nature humaine pour la grandir jusqu’à la perfection possible où elle pourrait enfin réaliser son principal devoir : qui est d’être heureuse. […] Plusieurs, encore que l’erreur devienne un peu caduque, se croient en droit d’exiger du poète les déductions ou la morale induit le moraliste. Erreur caduque, et pourtant très moderne : je ne crois pas que jamais, au temps où florissait la poésie grecque, on ait demandé à Théocrite ce qu’il voulait prouver avec ses Idylles, ni à Bion quel est le sens social et moralisateur du Tombeau d’Adonis. […] Il ne s’agit certes point de faire œuvre directement utile ou utilitaire : l’utilité sera dans la beauté de l’œuvre vivante et neuve qui pourra dire à ceux qui se plaignent : Votre erreur est de chercher hors de vous des trésors tangibles, réels, de la douteuse réalité des pierres changées en pains. […] Il lui faut corriger bien des erreurs, revenir sur ses pas, souvent même changer de route.
Erreur étonnante pour un critique de la portée de Hazlitt, et qui l’a conduit à une autre : c’est que Roméo et Juliette est la seule histoire d’amour que Shakespeare ait écrite, comme si Shakespeare n’avait pas écrit Othello. […] Or, de tous les critiques vengeurs qui se sont insurgés à la fin pour l’honneur du génie et de la gloire de Shakespeare, nul n’est allé plus loin que Thomas Carlyle, et c’est lui qui, dans son livre bizarre sur les Héros, où il y a tant de lucidités mêlées à tant d’erreurs profondes, c’est lui qui a formulé, avec le plus de rigueur et d’audace, la thèse qui déduit le Shakespeare inconnu de ses œuvres connues, le Shakespeare moral du Shakespeare de génie, et réclamé pour tout Shakespeare les bénéfices exorbitants d’une perfection absolue. […] En voilà assez d’erreurs sur Shakespeare ! […] Ces erreurs d’un très noble esprit pourtant, François Hugo, qui ne les partage pas expressément, me les a rappelées par la préface de son tome VIII, et j’ai cru devoir les signaler. […] Elle vient très bien sur un tas d’erreurs, et elle n’en meurt pas.