Je lui raconte que, séduits par une grande vue de Venise, exposée vers 1850, rue Laffitte, nous avions péniblement ramassé les trois cents francs que Cornu en demandait, et que, dans le moment même où nous entrions dans la boutique apporter notre argent, nous voyions mettre par un monsieur, sur un cabriolet, la toile désirée, — une des toiles capitales du peintre, et qui vaut au moins une dizaine de mille francs, à l’heure qu’il est. […] Je passerai des journées devant un bas-relief… Mais cela est d’un âge… Plus tard, il faut la vision philosophique des choses, c’est la seconde phase… Plus tard encore, et en dernier, il faut entrer dans la vie mystérieuse des choses, ce que les anciens appelaient arcana : les mystères des avenirs des êtres et des individus. » Et il me serre la main en me disant : « Réfléchissez à ce que je vous dis ? […] Autrefois ça m’aurait été égal, je me serais dit : je m’arrangerai pour être dans un autre compartiment, puis à la rigueur si je n’avais pu éviter mon monsieur désagréable, je me serais soulagé en l’engueulant, maintenant ce n’est plus cela, rien que l’appréhension de la chose, ça me donne un battement de cœur… Tenez, entrons dans un café, je vais écrire à mon domestique, que je reviens demain. » Et là, devant la paille d’un Soyer : « Non, je ne suis plus susceptible de supporter un embêtement quelconque… Les notaires de Rouen me regardent comme un toqué… vous concevez, pour les affaires de partage, je leur disais : Qu’ils prennent tout ce qu’ils veulent ; mais qu’on ne me parle de rien, j’aime mieux être volé qu’être agacé, et c’est comme cela pour tout, pour les éditeurs… L’action, maintenant, j’ai pour l’action une paresse qui n’a pas de nom, il n’y a absolument que l’action du travail qui me reste. » La lettre écrite et cachetée, il s’écrie : « Je suis heureux comme un homme qui a fait une couillonnade ! […] Je suis entré là-dedans, et, regardant bien, je me suis senti froid dans le dos, devant toutes ces inventions de souffrance, devant tous ces instruments de torture, avec lesquels l’homme, pendant des siècles, férocisa la mort. […] Bergerat m’a fait entrer dans la chambre du mort.
……… s’écrie le poète, un moment ému involontairement lui-même par son propre récit, Amour, fléau du monde, exécrable folie, Toi qu’un lien si frêle à la volupté lie, Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur, Si jamais, par les yeux d’une femme sans cœur, Tu peux m’entrer au ventre et m’empoisonner l’âme, Ainsi que d’une plaie on arrache une lame, (Plutôt que comme un lâche on me voie en souffrir) Je t’en arracherai, quand j’en devrais mourir. […] Tu peux m’entrer au ventre…… Un poète spiritualiste, surtout un jeune poète aurait dit : tu peux m’entrer au cœur, mais cela aurait ennobli l’amour en l’élevant du rang de sensation au rang de sentiment. […] Alfred de Musset s’était fait le poète de la chair et des nerfs, il devait dire : « tu peux m’entrer au ventre ! […] Il entra sans respect dans la divine enceinte, Mais aussi sans mépris. — Quelques religieux Priaient bas, et le chœur était silencieux.